« Et des chandelles, beaucoup de chandelles ! Il nous faut égayer quelque peu cette demeure ! » « Oui, Mylady. » « A-t-on préparé les bouquets de jonquilles roses ? » « Pas encore, Mylady mais... » « Tant pis, je m'en chargerai ! » Et avec un sourire permanent sur ses lèvres, Hilde Dinwgall reprend l'écriture de son corbeau. La servante, qui s'apprête à repartir par la grande porte d'où elle est entrée, s'arrête alors net et regarde sa maîtresse d'un air affolé. Stupéfaite, entre horreur et fascination, elle en a la bouche ouverte et ne peut plus bouger, condamnée à observer la quiétude de la suzeraine. Quoi ? Elle veut aller cueillir elle-même des fleurs sauvages ? Par ce temps, sans escorte et dans son état ? Mais elle est folle ! Comme si elle avait entendu ses pensées, Hilde lève la tête et arque un sourcil, étonnée. Brinwenn se mord la lèvres inférieure. Elle n'aurait pas dû penser cela de sa bienfaitrice, c'est après tout grâce à elle si elle est aujourd'hui nourrie et logée, et qu'elle a la chance de vivre dans une place forte des plus protégées d’Écosse. Si Lady Dingwall n'avait pas eu pitié d'elle, Dieu sait ce qui lui serait arrivé. Depuis qu'elle l'a sortie de la misère, elle s'est jurée de la servir corps et âme et de la protéger. Aussi, elle ne comprend pas. Car c'est dans le but de la protéger qu'elle s'inquiète de la savoir résolue à quitter une fois de plus sa couche pour aller vaquer à quelconque occupation. Sa maîtresse a beaucoup de qualités, mais également autant de défauts : pourquoi n'arrive-t-elle pas, à l'aube de la maternité, à être raisonnable ? Et que dira Lord Dingwall en apprenant qu'une fois de plus son épouse à quitter le domaine pour aller courir les champs ? Encore qu'elle ne soit pas certaine que Lord Raghnall s'en inquiète. A bien y réfléchir, il aurait d'avantage tendance à en rire et même à laisser en plan ses responsabilités pour aller la rejoindre. On entendrait alors les vociférations de Lord Brendan depuis la tour nord, et c'est encore elle qui prendrait des coups pour ne pas avoir su retenir son inconsciente bienfaitrice. Ha ! Ces gens nobles, elle ne les comprendra jamais.

« Brinwenn ? » La voix douce tira la servante e ses pensées. A demi allongée sur un canapé, une main sur son ventre et l'autre occupée à manier une plume restée en suspend, la jeune femme tente de percer le malaise qui semble clouer la servante sur place. Elle doit avoir le double de son âge et pourtant, Hilde s'est juré de veiller sur elle. Comme beaucoup de femmes, elle est une des victimes des atrocités belliqueuses qui sont monnaie courantes entre les quatre royaume depuis presque dix ans. Comme beaucoup d'autres avant et après elle, Brinwenn était devenue mère fille suite à un viol monstrueux d'un des soldats du clan adverse. Installée avec son enfant dans la boue au milieu d'une route, faisant l'aumône ou marchandant ses charmes pour espérer un toit et de quoi manger, elles s'étaient rencontrées alors que les Dingwall prenaient la décision de s'allier aux MacIntosh. Hilde avait insister pour accompagner son époux. Chevauchant à ses côtés, s'étant obstinée à monter plutôt que de profiter du confort d'un carrosse, la toute jeune fille qu'elle était alors avait été bouleversé par ces deux êtres pataugeant dans la terre pestilentielle. Elle était descendue de son cheval, avait donné un peu d'eau à la petite puis demandé à sa mère ce qui lui était arrivé. En entendant son récit, Hilde avait une fois de plus surpris les hommes : faisant fis de son rang, Hilde avait alors dépêché un attelage et emmené les malheureuses avec elle. Depuis, la mère et la fille étaient au service de la suzeraine qui, si elle les traitait comme tous les domestiques du château, gardait à leur égard une tendresse particulière. Brinwenn s'était affirmée et était devenue une terreur parmi les autres servantes au service d'Hilde. Aussi, à la vois les yeux rivés au sol, Hilde est à demi amusée et à demi soucieuse.

« Pardonnez-moi, Mylady. Mais je ne peux m'empêcher de penser à votre état... Souhaitez-vous réellement sortir à cette heure et vous risquer sur les rochers ? Ces fleurs que vous mandez sont rares et ne poussent que sur ces pierres qu'on dit affreusement glissantes, et s'il vous arrivait malheur... Je... » Brinwenn n'a pas le temps de finir, car la porte s'ouvre pour laisser entrer un soldat, tout de fer vêtu, une longue lance à la main. S'inclinant, il ôte son heaume et annonce une arrivée d'une voix grave qui résonne dans toute la pièce. « Lady MacDonald vient d'arriver, Mylady. » Hilde laisse échapper un cri de joie et veut se lever d'un bond, mais une douleur abdominale la contraint de garder sa position couchée. D'un geste, elle intime à sa suivante de ne point bouger, elle qui s'élance déjà pour s'enquérir de sa maîtresse. Elle ne supporte pas d'être traitée comme une poupée qui risque de se briser à tout instant. « Faites entrer, mon brave, je serai contrainte de la recevoir ici. Et toi, Brinwenn, apporte nous un peu de thé et quelques fruits. » Ils s'exécutent. Hilde arrange quelque peu ses cheveux coiffés en un lourd chignon au dessus de sa tête et lisse sa robe blanche d'un revers de main. Liusaidh, enfin ! Voilà des mois qu'elles s'écrivent régulièrement, mais depuis son mariage, Hilde n'a pas revu sa belle-sœur. Que dit-elle, sa sœur car aucune âme ne s'est montrée plus fraternelle que celle de la jeune femme lorsqu'Hilde posa le premier pied au domaine. Contrairement à son frère Brendan, Liusaidh l'avait accueillie les bras ouverts. Aussi, lorsqu'elle entre dans la pièce, Hilde n'a pas honte à ouvrir grands ses bras pour lui intimer de s'y jeter. « Ma chère Liusaidh, prenez ces bras qui n'attendent que vous ! Je suis au regret de devoir vous accueillir couchée, mais la petite chose nichée dans mon ventre a décidé que je ne serai pas bien élevée ce soir ! »

C'était tellement étrange de revenir chez soi. Je reconnaissais chaque endroit, chaque odeur, mais je n'étais définitivement plus la même. Je n'étais plus Liusaidh Dingwall mais bien Liusaidh MacDonald. Le simple fait d'arriver ici chez moi, parmi les miens, au bras de Connor me faisait sentir cette différence. J'étais reçue en invitée plus en résidente. Revoir les miens m'avait fait un bien fou. Ils m'avaient terriblement manqué ! Plus que je ne le pensais encore. Mais Brendan manquait à l'appel et j'étais aussitôt partie à sa recherche, laissant Raghnall, Hilde et Connor.

Après avoir discuté avec mon frère pendant un long moment, je regagnais mes appartements. Je commençais à avoir un peu froid et je voulais prendre un châle avant d'aller rendre visite à Hilde que j'avais simplement aperçue à mon arrivée. Visiblement nous avions été installé dans ma chambre de jeune fille avec Connor, c'était tellement étrange d'être ici avec lui ! Imaginer passer la nuit avec Connor dans la chambre que j'avais occupée toute mon enfance et ma jeunesse.

Alors que je poussais la porte, je trouvais mon époux en train de regarder par la fenêtre. Je savais que ce voyage ne l'enchantait pas du tout et qu'il ne se sentait pas à l'aise parmi les miens. Mais j'appréciais énormément qu'il soit là avec moi. Je ne savais pas ce qu'il avait fait pendant mon absence. J'avais eu le temps de parler avec mon frère et de faire un tour du château et de ses occupants. Le dîner serait servi sous peu mais avant je voulais aller voir Hilde.

« Vous ne vous ennuyez pas déjà tout de même ? »

Il se tourna vers moi, il semblait irrité... Qu'est ce qui lui était arrivé...

« Non ce voyage se trouve très révélateur. »

Je ne comprenais pas le sous-entendu de sa réponse. J'espérais que tout c'était bien passé pour lui, sans moi. Je prenais mon châle dans mes malles avant de m'approcher de lui.

« Je vais rendre visite à ma belle-sœur avant le dîner. Nous nous verrons dans la grande salle. »

Je posais un baiser sur ses lèvres avant de m'enfuir.

Je parcourais les couloirs du château avant de me rendre dans les appartements de ma belle-sœur. Elle m'avait tellement manqué, bien sur nous nous écrivions très souvent mais ca ne remplaçait en rien de la voir en vraie. J'avais tant à lui raconter et je me doutais bien qu'elle avait beaucoup à me demander.

Je me présentais donc à ses appartements. Un garde me demanda d'attendre le temps qu'il m'annonce. J'entrais à sa suite découvrant Hilde couchée. Son ventre avait tellement grossi depuis la dernière fois ! Et elle semblait tellement fatiguée ! A ma vue elle m'ouvrit grand ses bras, s'excusant de me recevoir ainsi mais le petit bout dans son ventre n'avait pas envie d'être bien élevé ce soir. Je souriais et la prenais dans mes bras. C'était si bon de la retrouver.

« Surtout ne bougez pas ! Prenez soin de vous et de mon neveu ou ma nièce ! »

Je prenais une chaise pour m'approcher d'elle, pour que l'on puisse discuter. Je prenais sa main dans la mienne.

« Comment allez vous ? Vous avez l'air bien fatiguée... »

Je me doutais bien que sa grossesse la fatiguait, elle était presque à terme.

« Vous m'avez terriblement manqué Hilde ! C'est tellement bon d'être ici ! Ce voyage était loin d'être acquis ! »

La dispute que Connor et moi avions eu me revenait en mémoire...