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 « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]

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Gabran MacGuffin
Gabran MacGuffin

Lowlands

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« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 13100606190997207
« La parole humaine est un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à en faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. »

« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 27990569877
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« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] Empty
MessageSujet: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptySam 13 Avr - 15:57

« Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie,
Faites s'abattre des grands cieux,
Les chers Corbeaux pernicieux.
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !
»








E
lle était finalement arrivée, elle était là... Le manteau nival de l'année, le châle des saisons. La période hivernale, dans sa toute lactescence, dans sa toute pureté. L'aquilon avait susurré sa venue depuis quelques semaines déjà, apportant froidure et frissons aux peuplades, parées à en affronter les écueils comme les fiers écossais avaient marotte de le faire depuis des temps immémoriaux. Aucun gaélique digne de ce nom ne redoutait l'hiver, bien que dans la contrée la plus australe du royaume, l'on déplorait de ne plus jouir de la complicité du soleil et de ses bienfaits environnementaux. Les Lowlands, terres fécondes et diaprées de champs d'or et de verdoyants pans, tiraient leur révérence pour ne plus être qu'un paysage immaculé, gélifiées d'une magie somme toute bien différente de celle à laquelle ils étaient accoutumés. Mais qu'importait, les oriflammes au chaudron orangé sur fond de sinople flottaient toujours haut sur les remparts, et dans le coeur des féaux, son symbolisme semblait ne s'être qu'accru depuis le retour du suzerain et premier héraut de ce même héraldique. Revenu des Northern Highlands en compagnie de son bel arroi, il grimaçait d'une sapidité des plus mitigées. Ce qu'il y avait à relater de cette tentative de concorde nationale était pour le moins truculent, même si ses espoirs ne s'étaient nullement risqués à de trop grandes imminences, il était amer de constater que la guerre ne faisait que reprendre de plus belle. La conflagration n'avait fait que modifier son plateau, unifiant grand Nord et Sud contre Est et Ouest dans un litige croisé qui n'avait plus aucun sens. La reine s'était échinée, avait décuplé ses efforts pour tenter de reprendre les brides des lands gaéliques, et les triplés étaient miraculeusement réapparus du néant. Une nouvelle festoyée, Gabran était à même de reconnaître toutes les initiatives prises par celle qu'il avait longtemps désiré voir choir du trône, mais... C'était compter sans la vanité et l'appétence de pouvoir de certains, qui ne trouvaient de lisières dans aucune sagesse que ce soit. Tout n'avait été qu'un malheureux méchef, une infortune qui avait conduit le Mor'du jusqu'à eux. Merida était assurément innocente d'une quelconque intrigue ayant visé à occire les chefs de clan, lui, en était intimement persuadé. Aodhan avait fait le sourd et l'opiniâtre, seulement en quête d'une raison pour justifier ses tentatives de s'emparer de la couronne et de s'en ceindre impunément le crâne. Un fantasme qui ne deviendrait jamais réalité tant que les MacGuffin avaient leur mot à dire et étaient toujours aptes à porter les armes, avec amertume mais foi, les étendards se hisseraient toujours entre les Macintosh et les cimes de la monarchie.

Ils avaient ainsi regagné leur illustre demeure sans y ramener la paix, seulement un nouveau conflit, bien qu'ils disposaient cette fois d'un allié d'envergure. A la suite de quoi, le laird aux yeux de quartz avait fait hurler les cors de la contrée, exigeant de tous ses représentants féodaux, du plus proche au plus éloigné, de prendre incessamment la route pour rejoindre le domaine du chaudron où se tiendrait un colloque de guerre. Il y avait des stratégies à revoir, des sujets dont délibérer, toute une organisation à réajuster, rien ne devait être délaisser à la contingence. Seulement un couplet de jours plus tard, les premiers seigneurs répondirent au ralliement en se présentant à la forteresse de leur dirigeant, dignement accueillis et conviés à la patience pour que leurs homologues en chemin atteignent à leur tour leur destination. Gabran avait toujours été un quidam très occupé, mais depuis qu'il était revenu de la région septentrional, guère un membre de sa famille n'avait pu se targuer avoir échangé plus d'un mot avec lui. Devenu invisible, il partait sporadiquement en direction de la ville qui coudoyait la base de la saillie sur laquelle siégeait le château familial, puis en revenait pour mieux s'enfermer en compagnie de ses conseillers et autres valets. Harpé dans un inexorable vortex de coercitions, il en omettait les siens, auprès desquels il se ferait pardonner une fois les affaires atténuées. C'était tout du moins ce dont il avait l'intention si, par quelque volonté divine que ce soit, son épouse ne se décidait pas à saigner son fils, et l'inverse était tout aussi vrai. C'était eux, qui finiraient par le rendre moribond d'exaspération tant leurs différends étaient vétilleux, en particulier lorsqu'il n'était point là pour y mettre fin. Mais il n'avait ni le temps ni l'envie de se heurter à l'outrecuidance de Sorcha et à la désinvolture de son héritier, ils l'épuisaient. Ce fut donc tout naturellement qu'aux premières nitescences de l'aube, il s'était réfugié dans ses responsabilités sans chercher à voir quiconque. Et pourtant, plusieurs heures plus tard...


« Bearach ! » L'écho fit soubresauter un factionnaire posté dans le corridor et qui était en passe de s'assoupir. Le coeur battant dû à cet impromptu réveil, il guigna l'homme dont l'éclat de voix se répéta. « Bearach ! » Le quidam s'immobilisa au centre du couloir, un rictus à la fois embêté et réflectif. « Mais où est-il encore passé... » Il frotta sa barbe d'un air songeur, puis entreprit de poursuivre ses recherches dans une autre aile du bastion. Ce ne fut qu'à la suite de longues minutes que, tout à fait providentiellement, il tomba sur le jeune homme en ne faisant que traverser une pièce pour se rendre dans une autre. Il freina tout de go et rallia les abords de celui qu'il cherchait depuis un moment déjà. « Ah ! Tu es là ! Tu devrais être couvert d'opprobre de faire courir ton pauvre oncle de la sorte ! » Folâtra Darren, guère sérieux dans son admonestation. Second fils de feu lord Mor, le cadet de la fratrie était connu pour sa badinerie tout autant que ses logorrhées, il s'entendait avec tout le monde, et le monde le lui rendait bien. Ses prunelles rieuses se posèrent sur son neveu avec une éloquente effervescence. « Chausses aux pieds, estoc au ceinturon et dignité à l'âme ! Séance tenante ! » Déclara t-il d'un timbre puissant et guttural, sa façon de lui dire de se tenir prêt à l'action. « N'omets pas ta pèlerine au tartan de la maison, ton père va intervenir en sa qualité de chef et il exige ta présence ! Un page nous est venu de la ville pour nous rapporter un incident qui s'y serait produit, un cortège est en route pour une audience... Allons ! Rejoignons-les au plus vite ! »

Le Maître-Veneur de la demeure encouragea Bearach d'une légère impulsion dans son échine, après tout, il ne fallait guère faire attendre son suzerain de père. Darren lui-même veilla à réajuster son châle de façon à ce que les armoiries brodées sur son plastron soient parfaitement visibles, l'instant se promettait solennel, aussi fallait-il être paré pour l'occasion. Le binôme arpenta les méandres du logis dans lequel ils avaient tous deux vu le jour, jusqu'à parvenir à la cour principale où ils furent cinglés par un vent glacial. Le ciel était lourd d'une blancheur sans équivoque, s'il s'était arrêté de neiger, les flocons ne tarderaient guère à se manifester derechef, telle une ondée d'astres gelés venus s'accumuler sur leurs terres. Une ombre passa soudainement au-dessus de l'éphèbe arraché à ses occupations par son oncle, un freux avait déployé ses ailes d'ébène et croassa en ébauchant un demi-cercle dans les airs. Un présage de mauvais augure ? Tout portait à le croire. A l'autre extrémité de là, dans l'avant-cour, était rassemblée une petite cohorte d'individus qu'il était fort aisé de reconnaître. Parmi eux, une poignée de seigneurs venus se faire spectateurs, quelques subordonnés et gardes, le page dont il fut précédemment question, ainsi que Malwyn, petit dernier de la fratrie de laquelle Gabran était l'aîné, et âgé de seulement trois années de plus que l'héritier des Lowlands, qu'il observa arriver d'un air distrait. Le suzerain, justement, était également de la partie, chaudement et joliment vêtu, l'échine droite, il posait un regard sévère mais circonspect en direction des huis de son foyer, qui laisseraient bientôt passer les accusateurs et leur dévoyé. Il aperçut du coin de l'oeil l'arrivée de son frère et de son fils, et s'il n'en dit rien, au moins était-il satisfait de savoir son légataire de sang non loin de lui pour la scène qui se profilait. Il n'y avait guère mieux que la pratique pour retenir la pédagogie, le concret prévalait sur la théorie et toute opportunité était bonne à saisir à cette fin d'éduquer le futur chef de clan à ce qui l'attendait. Ainsi réunis, tous patientèrent dans un silence plus ou moins troublé par des discussions furtives et éparses, jusqu'à ce que les portes ne s'ouvrent. Apparut alors une troupe furibonde, trainant avec elle un olibrius dont l'arcade sourcilière saignait abondamment et qui fut mis sur les rotules face aux MacGuffin présents. Un quinquagénaire se détacha ensuite de la masse en émoi, chevelure et barbe grisonnantes, habillé d'une étoffe écossaise aux teintes d'une maison noble mineure de leur contrée. Un seigneur de petit acabit, mais un seigneur tout de même.

« Milaird ! Je m'époumone au scandale ! A l'avanie ! » Rugit-il sans prendre le soin de décliner son identité, de toute façon figure notoire de ces lands, son fief se situant à proximité de la demeure du suzerain. « Ce faquin ! Ce... Fils de ribaude ! A sciemment attaqué mon fils sur la place publique, le meurtrissant de deux coups de poignard dans l'abdomen ! Il a tenté de l'assassiner sans même s'en cacher ! » Rubicond de courroux, le vassal était sur le point d'imploser, c'était à se demander comme avait-il pu se retenir de décapiter le responsable séance tenante. Un fautif tout désigné, vraisemblablement, car plusieurs énergumènes du cortège crièrent leurs commentaires pour corroborer l'accusation faite. La cacophonie fut telle que Gabran fut obligé de lever le bras pour exiger d'eux qu'ils se taisent, de manière à pouvoir rétablir le dialogue. Ses prunelles biaisèrent vers l'accusé qui avait indéniablement été rossé et n'osait point se défendre tant que l'autorisation ne lui serait pas ployée, ce que le laird fit en s'adresser directement à lui. « Qu'avez-vous à dire ? C'vrai ! J'm'en étais allé l'faire rejoindre sa sépulture ! » Baragouina l'homme dont les origines roturières ne faisaient aucun doute, tant par son dialecte que par ses frusques. Au moins n'auraient-ils pas à lui arracher la vérité de force, mais l'incompréhension embruma l'esprit du chef MacGuffin... Quel fou était-il donc pour agir de la sorte et avouer sans honte ? L'unique notion encline à alléguer un tel comportement était... La soif de vengeance, ce qui se confirma aussitôt. « Mon frère... Mon p'tiot frère ! » Lâcha t-il dans un sanglot, ses nerfs s'écroulant dans une pléthore de larmes et un timbre brisé. « Il l'a tué ! Décapité durant l'escarmouche j'vous dis, l'a même craché sur sa dépouille, j'l'ai vu ! Il méritait pas ça, mon frère, c'était un bon gars et... Il était tout c'que j'avais ! L'escarmouche ? » Reprit Gabran en courbant un sourcil. « Quelle escarmouche ? L'escarmouche... ! De quoi parle t-il ? Je l'ignore ! J'ai participé à quelques batailles de petites envergures contre les armées ennemies, mais cela date de plusieurs mois, comment savoir ? Et cela ne justifie rien ! » Le suzerain humecta ses lèvres dans une prompte réflexion, puis il se tourna vers le coupable. « Vous n'êtes donc pas des Lowlands ? »

Aucune réponse de la part du bougre qui se contenta de baisser la tête en larmoyant. Tout devenait limpide, qu'il se soit enrôlé dans l'ost d'une région rivale ou qu'il ait simplement était au mauvais endroit au mauvais moment, il s'était retrouvé au coeur d'une mêlée durant laquelle ledit petit frère avait perdu la vie et à laquelle lui, avait survécu. Peut-être avait-il pansé ses blessures, songeant au moment où il obtiendrait sa vengeance, et nul doute possible, il avait traversé les lands pour retrouver le meurtrier. Ce n'était là qu'une conséquence de cette guerre, une de plus... Une vie pour une vie, c'était certainement la raison qui l'avait encouragé à intenter à l'existence du fils du petit seigneur, pour lui faire goûter de la souffrance à travers laquelle il était lui-même passé. Mais avait-il réussi ?

« Comment se porte votre fils ? Il a perdu beaucoup de sang et devra rester alité un moment, mais Dieu soit loué, ses jours ne semblent pas en danger selon les premières informations qui m'ont été données par le praticien. » C'était donc un cuisant échec, et désormais, il se retrouvait face à ses actes. Et maintenant ? Sa culpabilité était avérée, et le pauvre homme en désespoir pleurait telle une jouvencelle en mal d'amour. La sanction devait être décidée, un long silence s'empara des lieux, durant lequel le corbeau antérieurement aperçu chanta d'un horrible croassement. Soudain... « Qu'en penses-tu Bearach ? » Sollicitation inopinée, tous les yeux se tournèrent vers le fils héritier, ceux de Gabran les premiers. L'opinion du jeune homme changerait plausiblement la donne, son père avait bien l'intention de jauger son bon sens. Qui plus est, c'était une situation face à laquelle il risquait de se retrouver, lorsque plus tard, il prendrait la tête du territoire de ses aïeux.


Dernière édition par Gabran MacGuffin le Mar 18 Juin - 15:46, édité 1 fois
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Bearach MacGuffin
Bearach MacGuffin


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Than swords.

There's no shame in fear, my father told me, what matters is how we face it.
« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 995303tumblrmjygpsIBAm1rswapvo1250
So many vows. They make you swear and swear. Defend the King, obey the King, obey your father, protect the innocent, defend the weak. But what if your father despises the King? What if the King massacres the innocent? It's too much. No matter what you do, you're forsaking one vow or another.

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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptyLun 15 Avr - 12:09


❝ Le Corbeau critique la Noirceur ❞
© PEPPERLAND.


L'hiver était revenu, et comme chaque année il avait apporté avec lui son lot de malheurs et de tracas. Si j'avais un jour aimé cette saison, je ne m'en souvenais plus. Il était fort possible que j'aie cessé de l'affectionner le jour malheureux où ma mère avait rendu son dernier soupir. Je me souvenais des longues heures passées à attendre à la fenêtre, à regarder les flocons tomber, en attendant que l'on vienne m'annoncer l'affreuse nouvelle. Et puis il y avait eu les funérailles, mes larmes, le regard vide de Père... Chaque année, c'était ainsi. L'hiver revenait et les souvenirs de ce jour funeste revenaient me hanter. Pourrais-je jamais accepter la mort de celle qui m'avait donné la vie, pourrais-je jamais faire mon deuil et enfant me libérer de cette douleur que j'avais porté depuis lors ? J'avais porté le fantôme de ma mère depuis le jour où elle s'en était allée. Je ne l'avais pas laissée partir, je m'étais accrochée à elle de toutes mes forces, sans me rendre compte du mal que je me faisais. Hélas, qu'aurais-je bien pu faire d'autre ? Je n'avais pas compris ce qu'il m'arrivait, et comme elle m'avait demandé d'être brave, je n'avais osé demander à quiconque de m'aider. Il m'aurait sans doute été plus facile de la laisser partir je n'avais eu à supporter la nouvelle épouse de mon père. Enfant, je n'avais pas compris pourquoi il avait fallu qu'il se remarie si vite, je n'avais pas compris pourquoi il avait fallu que ce soit avec elle. Aujourd'hui encore je n'étais pas certain de comprendre. Et alors que j'étais moi-même sur le point de me marier, les questions se bousculaient dans mon esprit. Je m'étais préparé à beaucoup de choses, mais je devais bien avouer que j'ignorais tout à fait comment être un bon époux. J'ignorais tout de ma future femme, et si cela m'ennuyait quelque peu, j'étais davantage préoccupé par le mariage en lui-même. Je m'étais préparé à l'art de la guerre, me préparais tous les jours à devenir Laird, mais jamais, ô grand jamais, je n'avais songé à me préparer afin de devenir un époux correct, à défaut d'en être un admirable. C'était seulement maintenant que je réalisais que je n'avais que très peu fréquenté la gent féminine. Parce que ce n'était pas digne de mon rang et parce que, nul besoin de le nier, je n'étais pas très à l'aise avec les femmes. J'étais gauche et timide, à la manière d'un bambin faisant ses premiers pas. C'était grotesque, risible. J'étais moins effrayé à l'idée de me retrouver sur un champ de bataille entouré d'ennemis plutôt qu'en compagnie d'une demoiselle. J'espérais que ma fiancée se montre tout aussi effarouchée de moi, car ainsi peut-être aurais-je l'air un peu moins ridicule.

Sans doute aurais-je mieux fait de m'inquiéter de la situation du royaume au lieu de me préoccuper d'une union encore lointaine. Les MacGuffin s'étaient rendus sur les terres de la couronnes, répondant de ce fait à l'invitation de la reine à l'instar de tous les clans. Elle avait proposé la paix, et j'avais laissé l'espoir envahir mon cœur. Je ne souhaitais rien d'autre que la paix pour le royaume, la paix pour le peuple. Je ne me targuais pas de connaître tous les enjeux du conflit qui durait depuis maintenant des années, et cependant il m'avait toujours semblé que la paix était la seule chose qui sauverait l'Écosse, et non pas une guerre de clan ni même encore l'assassinat de la reine. J'avais bien vu jusqu'où certains étaient prêts à aller dans leur quête de pouvoir. Père était-il donc le seul Laird ne souhaitant pas s'asseoir sur le trône ? Il m'avait parlé des ambitions du Laird Macintosh, et j'avais pu en juger par moi-même lors du rassemblement des clans. Ses ambitions me paraissaient démesurées, son comportement semblable à celui d'un enfant capricieux. J'étais persuadé que même sans l'intervention de l'ours légendaire, Aodhan Macintosh aurait tout de même trouvé une raison de déclarer la guerre. Un homme prêt à tout pour conquérir le trône pouvait inventer un millier d'affronts pour servir sa cause. J'avais toutefois été surpris de voir les Dingwall s'unir aux Macintosh. Sans doute Raghnall Dingwall était-il plus influençable que je ne l'avais supposé. J'avais eu vent de l'union entre la sœur cadette du Laird et le frère de l'épouse d'Aodhan Macintosh. Il eut probablement été difficile pour les clans de s'opposer avec une telle union. Sans parler de la naïveté réputée de Raghnall. Macintosh devait se trouver bien heureux d'avoir un allié si crédule et manipulable. Cela servait sa cause grandement et lui donnait pratiquement les rênes de deux des quatre. Quant à nous, nous nous étions ralliés aux DunBroch, pour tenter de ramener la paix en Écosse. Cette décision m'était apparue comme sage. Il était rare que je remette en doute les décisions de mon père. Il avait vu la guerre naitre, et comme tous les hommes raisonnables, il voulait la voir mourir le plus tôt possible. Hélas ! Il me semblait que nous n'aurions d'autre choix que de prendre les armes une fois de plus. La guerre pour la paix, c'était bien grotesque.

Depuis notre retour, j'évoluais dans l'agitation qui m'entourait avec un détachement qui n'aurait pas dû être le mien. L'heure était à la guerre, Père avait fait appeler ses vassaux. Ce n'était pas ainsi que j'étais censé me conduire. Je devais prendre part aux discussions, devait prendre exemple sur Père... Or, je n'y parvenais pas, n'y parvenais plus. L'on aurait pu croire que la guerre avait réduit à néant mes ambitions. J'étais l'héritier, je devais apprendre à diriger non pas seulement une famille, mais des dizaines, des centaines. Un jour viendrait où ce serait à mon tour de gouverner les Lowlands, à supposer que l'infâme épouse de mon père ne parvienne pas à me dépouiller de mon titre en faveur de l'un de ses enfants. Cela me paraissait peu probable qu'elle arrive un jour à ses fins, mais la comploteuse était déterminée à me voir disparaître. Elle m'avait toujours détesté pour avoir osé naitre avant qu'elle ne s'unisse à mon père. Depuis qu'elle avait eu le malheur de poser les yeux sur moi, elle n'avait eu de cesse de me faire disparaître. Elle ma haïssait non pas seulement parce que les Lowlands me revenaient de droit, mais parce que j'étais tout ce qu'il restait du seul amour de mon père, une femme qu'elle n'avait jamais réussi à remplacer en dépit de tous ses efforts. On ne pouvait dire qu'elle n'avait pas mis tout son cœur à l'ouvrage. J'ignorais encore si je devais ou non me réjouir des deux fausses-couches dont elle avait été la victime. Elle avait perdu deux fils. Si j'avais été désolée pour les enfants et Père, j'avais été soulagé, car c'étaient deux fils qui auraient pu me voler mon héritage. Deux fils qui n'avaient pas vécu et dont la mort avait fait fuir mon père. J'en avais déduit qu'il fuyait sa seconde épouse car ces événements lui rappelaient trop comment il avait perdu la première. Cela avait été plus fort que moi, j'avais haï Sorcha encore davantage. Pourquoi avait-elle eu le droit de survivre à cela par deux fois alors que ma mère n'avait pas eu le droit à seulement une chance ? C'était ainsi, personne n'y pouvait rien, mais ma haine pour cette femme s'en était retrouvée gonflée. Elle ne m'avait pas toléré davantage.

Père s'était isolé de nous plus que d'accoutumé depuis que les prémices de la guerre avaient fait leur apparition. Quant à moi je m'étais fait encore plus silencieux, plus solitaire. Rhona s'était plainte de mon attitude et de celle de notre père, et je lui avais promis de passer davantage de temps avec elle simplement pour qu'elle cesse de se plaindre. Je devais bien admettre que je n'étais pas certain de tenir ma promesses. Ces derniers temps, je n'étais plus sûr de rien. Je passai la plupart de mon temps à errer dans le château, à m'enfermer dans mes appartements avec une pile de vieux ouvrages. Je faisais de mon mieux pour oublier le monde en espérant qu'en retour il m'oublierait aussi. Hélas, mes obligations me rattrapaient bien souvent. Ce jour ci n'échappait pas à la règle. Alors que je vagabondais dans les froids couloirs, j'entendis mon nom résonner. Ce fut plus fort que moi, je grimaçai, levai les yeux au ciel. J'aurais souhaité disparaître, pouvoir fuir, mais mon nom fut appelé une seconde fois, et j'en déduisis que l'on avait besoin de moi. Pour autant, je ne fis rien pour me retrouver sciemment sur le chemin de celui qui me recherchait. C'est par un malheureux hasard que mon oncle tomba sur ma personne. Tant bien que mal, j'affichai un sourire sur mon visage lorsqu'il fit mine de me réprimander. J'aimais beaucoup mon oncle, mais parfois, il m'épuisait... C'était hélas un de ces jours où il me semblait n'avoir aucune patience. Cependant, lorsqu'il m'annonça que Père allait intervenir pour régler un litige, je compris qu'aucune des excuses que je pourrais bien inventer ne serait valable, d'autant plus si Père avait demandé à ce que je sois présent. Je ne pouvais pas éconduire mon oncle et tourner les talons. Père était la seule personne que je ne pouvais et ne devais pas décevoir. Si je n'avais aucune envie d'assister à ce genre de chose, le choix n'était pas le mien. Sans doute Père n'en avait-il pas plus envie que moi, mais il m'avait maintes fois répété qu'un gouverneur n'est pas aussi libre qu'on pourrait le croire.

Je suivis ainsi mon oncle, qui avançait d'un pas précipité. Bien vite nous nous retrouvâmes dans la cour où soufflait un vent glacé. Je fronçai les sourcils alors qu'un oiseau passait au dessus de nous. Je reconnus le plumage couleur encre d'un corbeau, mais bien vite j'oubliai l'animal alors que mes yeux se posaient sur le petit groupe qui s'était rassemblé. Il me semblait qu'au milieu de tous ces hommes mon père se démarquait, non seulement de par ses vêtements qui le désignaient en tant que seigneur des lieux, mais aussi par sa prestance. Comme à chaque fois que je me trouvais près de lui, je me sentis quelque peu insignifiant, mais surtout bien jeune et inexpérimenté. Je le saluai d'un hochement de tête et me plaçai non loin de lui, tout comme mes oncles, dont le dernier était à peine plus âgé que moi. Bien vite, une petite troupe se présenta dans la cour, et parmi les hommes présents se trouvait un homme ayant visiblement été battu. Et puis il y avait un seigneur au visage si rouge que je me demandai si tout son sang n'était pas contenu dans son simple visage. Il paraissait si courroucé qu'il ne prit ni la peine de se présenter, et encore moins de saluer mon père comme le voulait pourtant l'usage. Il commença à s'époumoner comme un Diable, maudissant de toute son âme l'homme que lui et ses hommes avaient trainé avec lui. Ah, une tentative d'assassinat. Quoi de mieux pour commencer une journée ? L'air grave, les bras croisés sur ma poitrine, j'écoutais et observais. Ainsi donc, l'homme accusé ne niait pas les accusations et confessait même le crime. Au moins n'était-il pas lâche, on ne pouvait pas en dire autant de tous les hommes. Celui ci aurait traversé la moitié de l'Écosse pour venger un frère tombé au combat ? Je haussai un sourcil, surpris par autant de détermination. La soif de vengeance mêlé à l'amour fraternel. Des motivations que certains auraient certainement jugées justes. Ne c'était cependant pas le cas de l'homme dont le fils avait bien failli rejoindre sa tombe plutôt que prévu. N'était-il pas à présent celui ayant soif de vengeance ? Hélas pour l'assassin raté, il avait eu le bon sens de venir se plaindre à son suzerain au lieu de faire justice lui-même. L'homme devait être puni, et il était fort possible qu'il rejoigne son frère dans la mort. Pour ce genre de crime, la clémence était rarement de mise...

Je ne m'étais cependant pas attendu à devoir décider moi-même du sort du malheureux. Je sentis le sang quitter mon visage, me faisant paraître plus pâle que je ne l'étais déjà. J'apparus déconcerté un instant, mais rapidement je me recomposai une mine sérieuse. Je me redressai, conscient que tous les regards étaient posés sur moi, celui de l'accusé en particulier. Je ne pensais pas devoir condamner un homme à mort lorsque j'étais sorti de mon lit le matin. Mieux valait ne pas faire d'erreur. C'était une épreuve, j'en avais parfaitement conscience. « Pour le crime qui est le votre, la peine de mort est coutumière. » Le visage de l'homme perdit toutes ses couleurs, tandis que le seigneur qui l'avait amené se réjouissait. Tant de joie à l'idée de voir un homme mourir me soulevait le cœur. Je n'en montrai rien. « Nous sommes en guerre, et si je suis navré que votre frère ait perdu la vie, assassiner de sang froid le fils de cet homme ne le ramènera pas. La vengeance ne vous aurait apporté aucun réconfort. On ne peut demander justice pour tous les hommes tombés au combat. En revanche, on peut demander justice pour une tentative d'assassinat. » Le seigneur m'était antipathique, au contraire de l'homme à nos pieds. Néanmoins je ne pouvais prendre mes sentiments en considération. Cela non plus n'aurait pas été juste. Je pris une inspiration et me tournai vers Père, espérant que mon jugement ne le déçoit pas. « Cependant, si la peine de mort semble être requise dans le cas présent, il me semble qu'un homme confessant son crime ait le droit à une mort rapide et digne. » Nous n'étions pas des sauvages, pas plus que nous n'étions sur un champ de bataille. L'homme méritait vraisemblablement de mourir, mais pas d'être lynché. Ce n'était ni de la pitié, ni de la générosité. Simplement du respect. Pour être soi-même respecté, il fallait montrer un peu de considération pour ceux n'ayant pas eu la chance de naitre dans un milieu aussi aisé que le nôtre. On ne pouvait voir à quel point un homme était bon qu'à la façon dont il traitait ceux qui lui étaient inférieurs en rang. Du moins, c'était ce que je pensais avoir retenu de mes leçons.
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Gabran MacGuffin
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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptyJeu 18 Avr - 2:29

« Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie,
Faites s'abattre des grands cieux,
Les chers Corbeaux pernicieux.
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !
»







C
'était une pédagogie que Gabran avait presque dû apprendre par lui-même, quelques fois par l'office de ceux qui furent les conseillers de feu laird Mor, d'autres, par les conséquences de ses bévues. Car des erreurs, il en avait commises, des impairs aussi, le meilleur des apprentissages était celui auquel l'on s'exposait chaque jour que Dieu faisait. A plus de deux ou de quatre décennies, l'on ne quittait jamais totalement son carcan d'élève, car il y avait toujours de quoi allaiter sa science et dépurer sa sagesse. Lui n'avait guère eu la chance de profiter de la sapience de son père emporté par la maladie, preuve s'il en fallait une que même les plus grands quidams n'étaient point exempts d'altérations organiques, même létales. Surtout, létales. Un si grand homme moribond d'un microbe si pernicieux qu'il l'avait finalement fauché dans sa plus grande dignité, condamnant la contrée à un deuil d'apparence bien éphémère tant l'héritage dût être honoré avec une célérité pour le moins exemplaire. Aujourd'hui encore, il était amer, intimement persuadé qu'il aurait tant eu à retenir des préceptes paternels, fort heureusement que ces mêmes préceptes étaient synonymes de moeurs dont les MacGuffin eurent toujours été imprégnés, infuses pour ceux qui s'étaient suppléés au titre Gouverneur du Sud Ecossais. Peut-être par crainte que ce modèle se reproduise avec son propre fils, il avait toujours veiller à l'éduquer par lui-même, d'illustrer ses enseignements, de l'éveiller, surtout, à l'univers dans lequel ils se devaient d'évoluer et tentaient de s'épanouir. Même si quelques tragiques circonstances les avaient, à une époque gravée à l'eau-forte dans les mémoires, éloigné l'un de l'autre, il était fier de jouir de ce privilège qu'était une relation qui outrepassait le discours. Père et fils n'avaient guère toujours besoin de se parler pour savoir, pour comprendre, même si les zones sibyllines demeuraient parfois inintelligibles en dépit de ce lien de puissance. Pour autant, avait-il suffisamment fait pour la chair de sa chair ? La véritable question était : Bearach aurait-il été apte à prendre le flambeau si, demain, il venait à rejoindre sa sépulture ? Bien malgré l'irréfragable confiance qu'il avait en lui, il ne pouvait vertement pas prendre le risque de l'abandonner à des coercitions pour lesquelles il n'était pas entièrement prêt. La recrudescence de la guerre lui avait permis d'en prendre conscience, car son enfant, son précieux bambin, allait hypothétiquement être condamné à poursuivre cette belligérance nationale qui déparait leurs lands, pour les décades d'années à venir. Un si triste patrimoine que cela, mais cette conjecture devenait sombrement véridique un peu plus chaque jour, un peu plus à chaque crépuscule et aube empourprés du sang des braves.

Une hémoglobine qui n'avait pas manqué d'être versée, en cette froide et funeste matinée, une de trop rougie par les vicissitudes de la conflagration. Cependant, la réalité était ainsi, fortuite et sans commisération pour quiconque, du plus flétri des manants au plus auguste des nobles sieurs, tous n'étaient que de plausibles victimes de Satan et ses séides qui guettaient inlassablement. Etait-ce l'entité du Mal et du Chaos qui avait guidé le geste de ce pauvre bougre éploré aux pieds de son juge ? La notion de corruption était nébuleuse, et puis, qu'aurait-il lui-même fait si Darren ou Malwyn avait été passé par le fil de la lame, d'une façon si éhontée ? Il l'ignorait bien, hurler à la vendetta ou se mortifier de leur trépas dans un mutisme aussi inquiétant que nocif. Pas une seconde, il n'avait égaré ses calots sur le galbe de l'un de ses frères, pour ne surtout pas émotionnellement s'impliquer dans une affaire qui quémandait l'impartialité – ou ce qui s'y apparentait le plus, il était malgré tout question de l'un de ses féaux, après tout ! Et il fut bienheureux de constater que son fils y mettait également l'effort, car tout le monde n'en était pas capable. Ce fut d'ailleurs avec une sainte attention qu'il mira les mimiques et attitudes d'un éphèbe présenté à ses futures fonctions, et les quelques seigneurs à leurs abords ne se firent pas moins observateurs. La tension pouvait être conséquente, en plus d'être légitime, mais l'héritier ne se laissa pas impressionner, certainement conscient des enjeux filiaux de l'opinion qu'il était sur le point de partager. Son phonème fut distinct et péremptoire, alliant aux faits les explications adéquates, et évidemment, la sanction appropriée bien qu'encore indéfinie dans sa nature profonde. L'un exultait tandis que l'autre savait sa fin proche, imminente même, puis, les avis semblèrent subitement mitigés quant à l'ultime tirade du fin rhéteur. L'on entendit des chuchotements par-ci, l'on vit un rictus perplexe sur le faciès de Malwyn, une risette amusée sur celui de Darren, ou encore un intérêt certain sur les traits du suzerain. Ce dernier se plut à contempler l'assurance de son enfant, comme s'il cherchait à déterminer s'il s'agissait des sentiments ou des principes qui parlaient alors. Toutefois, le petit seigneur et accusateur fut le premier de tous à donner de la voix pour réanimer le débat.


« Pourquoi ne pas le soumettre à l'ordalie tant que nous y sommes ?! A vous entendre nous devrions plutôt le soumettre aux supplices du Maître des Hautes Oeuvres pour lui arracher une vérité qu'il a d'ores et déjà confessée. » Intervint Gabran qui, par-delà son rôle de maître de la conversation, avait peu apprécié le ton qui fut employé à l'égard de son légataire. Il y avait quelques bienséances avec lesquelles il ne fallait guère trop faire preuve de frivolité. « Cet homme est voué à payer son tribut quoi qu'il advienne, que voulez-vous de plus ? Les charognards iront se repaître de son macchabée tandis que vous siroterez votre whisky. Le reste de son jugement revient à Dieu le Père, et à lui seul. »

La piété du laird n'était méconnue de personne, la religion avait une place conséquente dans son coeur tant que dans son âme, même si le fidèle idéal n'existait point. Le seigneur venu plaider la cause de son fils agressé comprit par le simple regard de son gouverneur que la joute était vaine et surtout risquée, et s'il sentit ses viscères se soulever de frustration, il ravala sa fierté et baissa silencieusement les yeux. Il aurait aimé une agonie lente et douloureuse, mais aucun des châtiments ne trouverait suffisamment écho chez un père venu défendre son descendant après que celui-ci ait flirté avec la mort – Aucun ! Cela, Gabran le concevait, et le comprenait mieux que quiconque dans cette assemblée. Toutefois, tout comme il n'avait pas laissé les motivations de l'accusé affecter son discernement, il ne permettrait pas à celles de son vassal d'y rencontrer plus de succès. Dommage que les choses aient dû être si compliquées, car elles l'étaient bien plus que ne le suggéraient les apparences, plus qu'une tentative de meurtre avouée. D'un côté, un pécheur qui n'avait pas hésité une seule seconde avant de confesser sa faute, qui, vraisemblablement, n'avait pas même cherché à échapper aux conséquences de ses actes, en plus du fait que, comme l'avait connoté Bearach, ils n'étaient pas des incubes dénués d'humanité. De l'autre, un noble, même de petit acabit, qui pesait irrémédiablement plus lourd sur le trébuchet des valeurs sociales qu'un vulgaire indigent – rien que cet aspect condamnait d'une irrévocable manière ledit roturier. Plus que cela, l'attaque s'était produite à proximité même de la demeure MacGuffin, et le seigneur avait irréfutablement bien agi en ne se faisant pas justice lui-même, mais en conduisant le coupable à plus haute hiérarchie. Les lois, il les avait respectées. Et comme si tout ceci ne constituait pas assez, la plèbe avait été témoin de l'attentat, la nouvelle avait sûrement déjà fait le tour de la ville ou cela ne tarderait pas à être le cas ! Contrairement à ce qu'il était logique de penser, le suzerain était tout aussi tributaire de ses sujets que l'inverse était vrai. Des comptes, il se devait d'en rendre à ses gens, les mêmes qui se languiraient de l'exécution de celui qui avait osé s'en prendre à l'un des leurs sur la place publique. Les sinuosités étaient nombreuses et méritaient une réflexion des plus assidues, il allait falloir contenter le plus de monde possible. Les prunelles azurées du lord épousèrent furtivement le sol parsemé de neige, puis se relevèrent sur l'énergumène qui avait cessé de pleurer mais dont la physionomie était marquée par les affres.

« Vous avez sciemment attenté aux jours d'un sujet des Lowlands aux pieds même de mon logis, et si vous n'avez point réussi à lui arracher la vie, l'acte n'en demeure pas moins grave. Je ne puis le tolérer. » L'évidence même, il ne fallait pas être cartomancien pour le deviner. « Comme l'a si bien dit mon fils, nous sommes en guerre. Votre cas sera un exemple supplémentaire sur ce qui advient de ceux qui s'essaient à souiller nos terres et leur peuple, aussi ne serez-vous exempt ni de charrette d'infamie ni de gibet. » La fameuse voiture dans laquelle étaient collectées les ordures et qui faisait substitution de moyen de transport pour les condamnés, alors promenés à travers la ville pour que leurs ignominies apparaissent aux yeux de tous. Plus qu'une obligation, il s'agissait d'une tradition, à laquelle le bougre ne dérogerait pas en dépit de sa bonne coopération. Le regard du laird se fit plus intense et appuyé, puis il reprit. « L'usage clamerait que l'on vous pende, haut et court, pour vous laisser agonir au bout de votre corde jusqu'à ce que mort s'ensuive... Mais... Je vous épargne de la Danse des Pendus, vous aurez la tête tranchée à la place. » Cette fois, le jugement était complet et ne souffrirait d'aucune modification. Le suzerain biaisa vers ses homologues et distribua les consignes. « Malwyn, fais quérir les crieurs publics, que la foule puisse converger vers l'échafaud. Darren, veille à ce qu'il soit installé dans la charrette, et dépêche nous un bourreau. Quant à vous autres mes seigneurs, à vos montures, nous rallions la ville. Séance tenante. »

Les impératifs se firent aussitôt respecter, il n'y avait pas matière à tergiverser. Les frères s'exécutèrent selon la volonté de leur aîné, le condamné fut emmené et les différents nobles et factionnaires se dispersèrent, chacun ayant conscience de son devoir de l'instant. Beaucoup prirent la direction des écuries, Gabran le premier, qui veilla à être suivi de près par Bearach qui n'allait fichtrement pas se dérober maintenant. Son héritier avait assisté au jugement, il en ferait de même pour l'exécution de la peine, et auprès de son père, s'il-vous-plait ! Ensemble, ils rejoignirent la bâtisse hippique, dans laquelle se pressaient les palefreniers pour apprêter les chevaux de ces beaux sieurs en vue de leur déplacement. Le laird apprécia la compagnie de sa jument, sa superbe Léilhà à la robe teinte d'un gris pommelé et dont il flatta le chanfrein tandis que la selle lui était installée. Non loin de lui, aux abords d'une stalle contigüe, patientait son héritier, sur lequel il égara une lorgnade songeuse. Il avait fait preuve d'égard envers l'accusé en lui évitant la pendaison, procédé d'indicible souffrance, la suffocation au bout d'une cravate de chanvre n'avait rien d'enviable. La décapitation lui octroierait une fin prompte avec une douleur minime, un privilège en soi. Ces décisions n'étaient jamais aisées, mais chacun pourrait, peut-être, y trouver son compte. Le condamné serait probablement rudoyé par la foule lors du trajet, mais il serait rapidement occis. Le père du damoiseau agressé obtiendrait sa revanche, quant à la foule, elle aurait son spectacle morbide. Que demandait le peuple, si ce n'était justice ?

« Tu as bien parlé fils. » Interpella t-il soudainement Bearach, profitant de cet instant où nul ne prêtait attention à eux pour le complimenter, mais pas seulement. « As-tu compris le pourquoi de mes décisions ? » Il tenait à ce que l'éphèbe s'exprime, et il n'y avait rien de plus efficace que lui demander son avis à chaud. Plus qu'un désir de communiquer, c'était une nouvelle façon de jauger sa sagacité et sa rhétorique, tout comme son sens de la réflexion. La vie était une éternelle évaluation, il fallait être paré à tout moment du jour, et de la sorgue. Et Gabran réservait encore bien des surprises à son légataire de sang... Main sur le manche de son estoc pour s'offrir une contenance, il se mit face à son enfant, ses prunelles profondément ancrées dans les siennes, et reprit d'une phonation assurée. « Je veux que ce soit toi qui annonce le forfait et sa sentence. Je veux que tu t'adresses à la foule lorsque nous y serons. » La requête, qui prenait habilement les atours d'ordre, allait sans nul doute prendre le jeune homme de court. Un préposé à la proclamation tenait ordinairement ce rôle, que le laird prenait parfois lorsqu'il estimait nécessaire de parler à ses sujets. Un rôle aujourd'hui délégué à Bearach, qui n'était décidément point au bout de ses peines.
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Bearach MacGuffin
Bearach MacGuffin


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Fear cuts deeper
Than swords.

There's no shame in fear, my father told me, what matters is how we face it.
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So many vows. They make you swear and swear. Defend the King, obey the King, obey your father, protect the innocent, defend the weak. But what if your father despises the King? What if the King massacres the innocent? It's too much. No matter what you do, you're forsaking one vow or another.

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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptyVen 19 Avr - 20:47


❝ Le Corbeau critique la Noirceur ❞
© PEPPERLAND.

Je ne pouvais m'empêcher de me demander ce que j'aurais bien pu faire si j'avais été à la place de ce pauvre diable à mes pieds. Jusqu'où pouvait-on aller par amour et par loyauté ? L'homme ne devait point être le seul à avoir voulu se venger. La guerre ne se cantonnait pas aux champs de bataille, hélas. Et maintenant qu'elle avait repris de plus belle, je craignais fort que ces expéditions punitives ne se multiplient. Il nous faudrait nous montrer impartiaux, il nous faudrait faire fi de nos propres émotions. Ce n'était pas aisé. L'homme était coupable et pourtant je ne pouvais m'empêcher de compatir, à défaut de cautionner son geste. La vengeance n'était jamais la solution car elle ne ramenait pas les morts à la vie. Mais elle pouvait soulager, pour un temps... Cet homme avait-il ressenti une quelconque satisfaction en poignardant le fils du seigneur, en voyant son sang rougir la terre ? Trouvait-il que cela en valait bien la peine, maintenant qu'il allait payer le prix fort pour sa tentative d'assassinat ? C'était fort possible. Car s'il y avait indéniablement de la peur dans son regard, il n'y avait aucun regret, sinon celui de ne pas avoir réussi à ôter la vie de cet homme. Au moins n'était-il pas couard. Car si il avait versé quelques larmes, il ne nous suppliait pas de l'épargner. Je me demandais même si il ne s'était pas préparé à son arrestation. Il s'était certainement douté qu'il ne s'en tirerait pas avec de tels actes. Qui plus est alors qu'il avait agi en plein jour et devant une foule de témoins. La punition était inévitable. Cependant, il me semblait que pour sa bonne fois, l'homme méritait un peu de clémence, n'en déplaise au seigneur qui l'avait trainé jusqu'à nous. Je ne voyais point en quoi l'humilier changerait quoi que ce soit. Cela ne ferait que grossir l'égo du petit seigneur, qui se réjouissait d'avance à l'idée d'obtenir la vie de l'agresseur. Je comprenais qu'il veuille venger son fils, mais je le trouvais bien antipathique malgré tout. Il avait beau faire face à son gouverneur, il agissait avec une condescendance qui me déplaisait fortement. Sans parler de la façon dont il remit mon jugement en question. Sans doute le trouvait-il trop clément. Mais à quoi bon torturer le pauvre homme ? S'il voulait se conduire comme un barbare, il n'avait qu'à s'en aller vivre avec eux ! Sur nos terres, nous avions toujours traité les individus avec respect, quoiqu'ils aient pu faire. C'était ainsi que nous avions gagné l'affection du peuple, pas avec des exécutions sordides et un mépris sans limites. Je fronçai donc les sourcils, signifiant en silence au seigneur que son ton m'irritait particulièrement. J'étais jeune, pas stupide. Si la sagesse allait de paire avec l'âge, cela se saurait. Je ne pus m'empêcher d'afficher un petit sourire en coin lorsque Père intervint, mettant un point final aux protestations du seigneur. Cependant je perdis bien vite ce sourire alors que Père évoquait Dieu. Je faillis faire la grimace mais je me retins. Je n'ignorais pas à quel point il était pieux. Je me demandais ce qu'il penserait s'il savait que je passais plus de temps à blasphémer et à maudire le Seigneur que je n'en passais à prier. Ma foi avait été terriblement ébranlée par la mort de Mère, et si je ne pouvais dire avec certitude si je croyais toujours en Dieu, je pouvais dire que j'avais cessé de faire appel à lui pour m'aider à surmonter mes peines. Je pensais être seul, et de ce fait je ne comptais sur personne d'autre que sur moi-même. Non, décidément, mieux valait ne pas parler de ceci à Père, cela lui déplairait probablement.

De nouveau silencieux, je ne quittai pas des yeux mon père alors qu'il énonçait la sentence définitive. Je n'étais guère surpris par le traitement qu'il réservait à l'homme. Bien que je ne sois pas particulièrement amateur de la façon dont les condamnés étaient traités, je ne pouvais remettre en question nos traditions, pas plus que Père ne le pouvait. Néanmoins, je bien heureux qu'il soit d'accord avec moi sur la façon dont l'homme devait mourir. Il n'y avait rien de pire que de voir un pendu se débattre avec la mort. La pendaison était un traitement beaucoup plus cruel qu'il n'y paraissait. Il était rare que les hommes meurent immédiatement. Il arrivait que de longues minutes passent avant que la mort ne les prenne. Pourtant la pendaison était plus coutumière que la décapitation. Or, c'était bien de cette façon que l'homme mourrait. J'étais bien heureux que Père partage mon avis sur la question. Son approbation était très importante pour moi. Ce n'était qu'en lui prouvant que j'étais digne de prendre sa suite que j'étais assuré de conserver mon titre d'héritier.

Je restai immobile à ses côtés tandis que me oncles suivaient ses directives. L'un s'occupait du condamné, l'autre du peuple. Bientôt les seigneurs disparurent également de la cour pour aller retrouver leurs montures. Quant à moi, je suivis Père jusqu'aux écuries, toujours enfermé dans le mutisme qui était le mien la plupart du temps. Je n'étais pas un jeune homme très loquace, je passais plus de temps à écouter que je n'en passais à m'exprimer. Il n'y avait guère que Rhona pour m'arracher quelques mots, et ce seulement lorsque j'étais disposé à discuter – bien qu'il faille toutefois dire qu'il n'y avait pas grand chose que je refusais à ma seconde sœur. Rhona devait être l'une des rares personnes à pouvoir se vanter d'entendre le son de ma voix plus d'une fois par semaine. La plupart du temps j'étais seul dans mes appartements, la bibliothèque du château ou encore là où j'étais certain qu'on ne viendrait pas me déranger. Moi qui avais souvent rêvé de la famille idéale, je me retrouvais à fuir celle qui était la mienne. Il n'était pas rare que je ne me montre pas aux dîners, si je ne me sentais pas le courage d'affronter les piques de Sorcha. Hélas, il faudrait bien que je fasse des efforts à l'avenir. Je ne voulais pas effrayer ma future épouse avec une telle attitude. Je ne pouvais la laisser penser que j'étais un homme froid et distant, qu'importe s'il me fallait résister à l'envie de tordre le cou à ma belle-mère. Il était hors de question qu'elle ait la satisfaction de me voir être un piètre époux. Je n'avais pas l'intention de la laisser ruiner ma future épouse comme elle l'avait fait avec mes sœurs. J'avais beau ne pas encore connaître l'identité de la jeune femme, cela ne m'empêchait pas d'avoir un comportement protecteur, par anticipation. Devrais-je parler de mes craintes à ce sujet à Père ? Probablement, mais ce n'était pas le moment. Mélanger exécution et mariage eut été malvenu. Il y avait un temps pour tout.

Arrivé devant les écuries, j'entrai dans la bâtisse alors que l'on préparait la monture de Père. Il était d'usage pour les nobles de laisser les palefreniers s'occuper de leurs chevaux, mais je m'étais toujours fait un devoir de m'occuper moi-même de mon cheval. Aodh était un étalon à la robe cuivré, mon plus fidèle compagnon depuis maintenant quelques années. J'avais insisté pour le dresser moi-même, et si cela m'avait valu quelques chutes, je pouvais maintenant me flatter d'avoir un animal obéissant et loyal, qui m'accompagnait toujours dans mes déplacements. Je lui parlais sans doute plus qu'à certains. Ma monture prête, je rejoignis Père à l'extérieur, rênes en main. Je gratifiai l'étalon de quelques caresses sur l'encolure, alors qu'il me tirait vers la jument de mon père. Avec un claquement de langue agacé, je le ramenai vers moi : ce n'était pas le moment de jouer au séducteur. J'étais sur le point de me mettre en selle lorsque Père s'adressa à moi. Immédiatement je relevai les yeux vers lui, une certaine anxiété dans le regard. Avais-je fait ou dit quelque chose qui lui avait déplu ? Je le craignais toujours. Cependant, ce n'était pas le cas cette fois-ci. Je le remerciai d'un signe de la tête et d'un léger sourire lorsqu'il me fit savoir qu'il pensait que je m'étais bien exprimé. Le compliment fut immédiatement suivi d'une question, qui me laissa songeur un instant. Puis de nouveau je m'exprimai, mesurant chacun de mes mots. « Je comprends, je pense. Quoique le Lord me soit tout à fait antipathique, nous ne pouvions laisser l'homme coupable d'une tentative d'assassinat sur son fils en liberté. Les émotions n'ont pas leur place dans le domaine de la justice. Le coupable doit être puni, quels que soient ses motifs. » Distraitement, je passai une main dans mes cheveux. « Je comprends la raison pour laquelle l'homme a désiré se venger, même si je ne l'approuve pas. On ne peut demander justice pour les soldats tombés au combat. Il mérite sa punition, mais nul besoin d'en rajouter. Vous lui offrez une mort digne, et je pense qu'il vous en est reconnaissant. » Faire décapiter un homme demandait un peu plus de préparation qu'une pendaison. Avant comme après. Le sang du condamné ne saurait trop tarder à salir la neige qui avait tout recouvert. Je soupirai tout bas, et pensai tout haut. « Tout homme pourrait être à la place de ce malheureux. L'amour fait faire de drôles de choses... » Si je n'avais jamais aimé, j'avais vu les ravages provoqués par la passion. C'était rarement beau à regarder. Ma mère avait été arraché à mon père par la force du destin, par la main de ce Dieu qu'il chérissait tant. Si elle avait péri sous la main d'un homme, qu'aurait-il fait ? Je n'osais pas poser la question. Quel genre d'homme pourrais-je bien être, si je venais à aimer une femme ? Très certainement le genre à se laisser aveugler par l'amour, à déplacer des montagnes. Je ne serais pas de ceux qui étaient raisonnables. Mais là encore, un homme l'était-il jamais pour l'être aimé ?

J'étais si perdu dans mes pensées que je faillis ne pas entendre ce que Père me demanda. Le retour à la réalité fut quelque peu brutal et je dus cligner des yeux plusieurs fois pour reprendre mes esprits. Je ne m'étais certes pas attendu à devoir prononcer la sentence moi-même devant la foule. J'imaginais que cela faisait également partie de mon apprentissage... En silence, j'acquiesçai. C'était plus un ordre qu'une demande, je n'allais point discuter. Cela m'aiderait probablement à gagner un peu d'assurance, ce qui ne pourrait pas me faire de mal. Mais avant que nous partions, il fallait que je pose une question à Père une question importante à mes yeux. « Ne devrais-je pas être le bourreau de cet homme ? Je ne peux m'empêcher de me penser responsable de sa condamnation, quand bien même vous avez prononcé la sentence définitive. Si je tiens l'épée qui prendra la vie de cet homme, peut-être pourrais-je à l'avenir mieux juger de qui mérite de vivre et qui ne le mérite pas ? Il me semble bien aisé de décider de l'avenir d'un homme si en fin de compte celui qui prononce la peine ne prend pas la peine de l'appliquer. » Je ne voulais pas tuer cet homme, je ne voulais tuer personne. Pourtant c'était déjà arrivé. J'étais jeune, oui, mais la guerre ne m'avait pas épargné, et si je n'avais jamais dû combattre sur un champ de bataille, j'avais déjà eu mon lot de combats sur les routes, et j'avais gagné quelques cicatrices au passage. Rien de bien méchant, non, simplement cela m'avait permis de constater à quel point il est différent de tuer au combat et pour la justice. Pourtant en tant que future Laird il ne me fallait craindre aucune de ces deux alternative.
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Gabran MacGuffin
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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptyDim 21 Avr - 2:24

« Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie,
Faites s'abattre des grands cieux,
Les chers Corbeaux pernicieux.
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !
»







L
'aquilon avait de quoi gélifier l'échine, tandis que la situation aurait pu glacer le sang. Gabran abhorrait cette ultime saison qui, outre que de se faire prélude à la fin d'une année supplémentaire, était synonyme d'affliction – de mort, même éphémère. Son tapi nival n'était d'un parfait immaculé que pour mieux être souillé par les ignominies humaines, par la déchéance de pairs qui, quoi qu'il puisse advenir, vivaient dans le péché... Au moins celui de se croire prépondérant à toute notion de nature. Il avait beau se tenir droit tel un roc, buriné à même une fierté séculaire et propre à son patronyme, le gouverneur des lands australes se sentait particulièrement insignifiant à côté de ce monde qui muait inexorablement. L'atmosphère hiémale lui remémorait que le cycle de la vie était immuable, quel dommage que leurs défunts n'aient jamais pu plagier les variétés florales et vivre l'efflorescence une fois le printemps revenu. Sans doute était-ce en cette incapacité de résurrection que résidait leur infériorité. Monarque, dignitaire, indigent, s'ils étaient de valeurs disparates aux mirettes de la société, tous irradiaient de la même façon aux yeux de Dieu. Son fils n'était point de ces infatués qui miroitaient quelques aspirations démesurées par l'office de leur genèse sacrée, celle qui octroyait d'inéluctables avantages politiques. Avantages ? Il n'était guère persuadé que le jeune homme se trouvait satisfait d'avoir à revêtir le fardeau de son hoirie, et ce, même s'il avait lithographié sa piété envers sa famille et sa patrie en lettres d'or à même son coeur. L'on était jamais intégralement préparé aux coercitions du rôle pour lequel il était né avant d'en être ceint, son père ne faisait que dépurer les affres que tout ceci lui inspirerait. Toutefois, il avait affaire à sa digne progéniture, aux legs génétiques diablement affectés par sa propre essence, et s'il y avait une véracité tout à fait irrécusable, c'était qu'il lui avait transmis son plus intègre quant-à-soi. L'impression qu'ils n'étaient tous deux que des spectres arpentant inlassablement les corridors du logis ancestral, avec une volonté parfois semblable à celle d'un macchabée miraculeusement ranimé, le tarabustait. Lui-même n'était point un parangon d'interaction et se complaisait dans le mystère, dans la circonspection mutique, dans le manque d'épanchement si ce n'était dans ses patenôtres. L'une de ses plus innommables angoisses était que son fils ne s'égare dans sa claustration émotionnelle, et qu'il l'y perde, trop impuissant pour l'en sauver. Avait-il peur ? Il en était transi. Ankylosé par son amour paternel, épouvanté par les plausibles conséquences des tragédies passées et des bévues qu'il avait pu commettre.

C'était bel et bien pour cette raison qu'il prenait fréquemment l'initiative de bousculer l'univers de Bearach, de le faire brimbaler pour être à même de lui arracher plus que quelques mots de courtoisie. Il plaçait également une pléthore d'espoirs en son union avec la promise qu'il lui avait lui-même choisie, selon des critères enclins à l'aider dans son épanouissement personnel. Mais pour l'heure, ce fut tout attentif qu'il se fit, se sustentant de chaque mot prononcé par son interlocuteur qui ne manquait ni de sagacité dans son opinion ni de rhétorique pour diaprer son discours. L'éphèbe jouissait de moult facultés dont il ne témoignait guère suffisamment selon le suzerain, pas moins satisfait de constater qu'il était loin d'avoir éduqué un inepte. Même s'il n'amoindrissait pas les efforts dans l'apprentissage dispensé, son âme amarrait à l'ataraxie quant à la future gérance des Lowlands, car ce serait avec une confiance estampillée de cécité qu'il les abandonnerait aux mains de son légataire lorsqu'à l'état de poussière il retournerait. Ce fut un presque imperceptible hochement de tête qui fit foi de son contentement quant à la jugeote du plus jeune, cependant... La stupeur l'embrassa à la péroraison. Le laird fut désarçonné par l'ultime tirade emprunte d'une notion à portée philosophique... L'amour. Ah, l'amour ! Délice et perdition, que ne ferait-on pas pour lui ? Quel astre n'aurait-il pas décroché pour son adorée Diane... Même le satellite sélénite aurait été servi sur un plateau d'argent gemmé des plus belles pierreries que la terre ait porté. Oui, il se serait damné, voué aux gémonies, si cela avait pu suffire pour la retenir auprès de lui – d'eux. Mais le Seigneur des Cieux en avait décidé autrement, il en avait assurément fait son plus bel archange, et dans l'Eden, elle veillait sur ceux encore délaissés à leur piètre humanité. A travers leurs songes, elle les oignait de sa bienveillance. Une conjecture qui lui permettait de ne pas péricliter vers d'incommensurables abysses.


« Les hommes vivent et meurent pour et par l'amour... » Commenta t-il dans un souffle presque souffreteux., volatile, à l'instar d'une volute de fumée qui nous glisse entre les doigts. Ses prunelles fuirent sur le paysage, ne voulant vomir leur éclat d'émoi face à son héritier. « Sous tous ses aspects. »

Egotiste ou authentique, l'amour possédait de bien différents atours, mais c'était toujours l'amour de soi ou celui d'autrui qui conduisait aux actes et les alléguait. De l'autolâtrie à la dévotion, il y avait un abîme. Cependant, tous les sentiers finissaient inexorablement par converger vers le même centre de gravité, vers le même achèvement, seuls les chemins pour s'y rendre se démarquaient. Ce sujet de débat aurait pu bâfrer leurs heures dans une conversation sans fin, si le devoir ne requérait pas toute leur concentration. L'épreuve suggérée par Gabran fut bien mieux accueillie qu'il ne l'aurait jamais suspecté, et s'il fut ravi de ne point traduire l'appréhension ou l'improbation sur les traits physionomiques de son enfant, sa requête fut des plus impromptues. Ils avaient décidément le don de se surprendre l'un l'autre, une kyrielle de tournants qui ne s'étiolait pas dans son intensité. Même s'il n'avait guère été le juge du bougre bientôt étêté, Bearach avait contribué à l'élaboration de son châtiment et se considérait tout naturellement comme plus concerné que s'il n'avait été qu'un simple spectateur. Et si sa lame eut déjà meurtri la chair et occis de son tranchant quelque quidam que ce soit, une exécution n'était pas de la même sapidité qu'une mort obligée par la défense. En avait-il réellement conscience ? S'improviser Maître des Hautes Oeuvres, une lubie inusuelle et qui promettait son lot de ressentiments. Même la jument aux abords de son propriétaire laboura la terre de son sabot et échappa un hennissement que l'on aurait pu subodoré d'abasourdi. Le chef de clan vint harper ses brides pour la lénifier, ses calots contemplèrent sa robe de gris pommelé, puis revinrent au bleu malt de l'éphèbe comme pédagogue l'aurait fait envers un épigone enhardi.

« Morceler la tête et le tronc d'un individu ne sera pas ta torche de feu dans l'obscur tunnel du jugement. Qui plus est, nous ne décidons pas du mérite d'autrui, car ce n'est guère de mérite dont il s'agit. Nous ne punissons pas pour le méfait, mais pour l'exemple. » Car si le prix devait être payé pour chaque crime commis, alors même que la définition de ce terme était toute relative, ils étaient tous passible de la même peine – Gabran le premier. Combien d'âmes avait-il voué au purgatoire, depuis les prémisses de cette guerre dont il était, malheureusement, l'un des instigateurs ? Tout le monde justifiait ses impiétés comme il le pouvait, l'on battait sa coulpe sous les regards des Saints et au tympan des prêtres, puis l'on oubliait. « Etre bourreau n'est pas un rôle enviable, et tu aurais tort de croire qu'il suffit de trancher dans le vif pour réussir une décapitation... Si ta lame est mal affilée, le cou ne se coupera pas net, et il faudra t'y reprendre à deux, trois, peut-être quatre fois. » Plus que l'immondice d'une telle scène, la douleur du condamné atteignait d'indicibles cimes. Il ne tentait nullement de l'effaroucher, mais des exécutions ratées, il en avait déjà vues par plusieurs fois, car les bourreaux n'avaient pas toujours la considération de leur victime, ni même le souci du détail. C'était là la raison pour laquelle le laird avait lui-même choisi celui de leur demeure, dont la besogne était accomplie avec soin. « Ta réflexion aurait trouvé son sens profond si nous avions été dans une situation autrement plus officieuse, j'ai moi-même déjà eu à me souiller les mains de la sorte lorsque l'affaire ne faisait pas esclandre, et lorsque je ne pouvais faire autrement. » Il avait beau donner l'impression de refuser le vouloir de Bearach, il n'en était rien, le gouverneur ne faisait qu'exposer les faits. Ce dernier ascensionna sa montre pour s'installer sur son échine, réajustant son tartan à hauteur de son épaule tout en reprenant. « Mais je ne t'empêcherai pas d'agir comme bon te semble, l'expérience est encore la meilleure pédagogie qui soit. Si nos gens trouveront cela étrange, je ne doute pas qu'une telle initiative fera forte impression et sera le reflet même de ton implication diplomatique. Constater qu'ils peuvent compter sur toi déclenchera certainement une vague de réconfort, et d'admiration... Gagne le coeur de tes sujets et ils te le rendront bien. » Méfiance cependant ! L'éphèbe ne devait pas prendre l'habitude de se donner en spectacle de la sorte, au risque de passer pour un lair impliqué, mais cruel. Entre crainte et admiration, il n'y avait qu'un pas, et il y avait un équilibre à établir et préserver. « Ma seule exigence sera que tu uses de l'arme du bourreau, je ne tiens pas à tenter le diable. Réfléchis-y en chemin, je vois nos pairs arriver. »

Et effectivement, une petite cohorte composée des seigneurs qui eurent été antérieurement présents parvinrent à eux. Puis, à leur tour, ils rejoignirent Darren, le dignitaire accusateur, et plusieurs gardes, tout ce beau monde montés à cheval. Dans la charrette d'infamie, l'olibrius ainsi que le bourreau tout de sombre vêtu, qui accompagnait sa censée future victime dans les mêmes conditions de trajet. Les MacGuffin prirent la tête du funèbre cortège et ouvrirent la marche en silence, en direction de la ville en effervescence, où les crieurs publics sollicités par Malwyn faisaient leur office. Les petites gens se rassemblaient tant sur la grand place que dans les venelles qui y conduisaient, dans l'espoir de pouvoir apercevoir ledit cortège et, lapider l'infâme qui avait osé intenter à la vie d'un membre de leur communauté. Le ciel semblait chargé d'un poids d'opale, puis il pleura une poussière de d'infimes flocons qui vint davantage refroidir l'atmosphère comme saupoudrer les coiffures et vêtements de tous les personnages. Une fois encore, l'on put ouïr les croassements de freux qui vrillèrent dans les airs, comme conscients et impatients d'agapes à venir. Promptement, la troupe atteignit les ruelles garnies de citadins qui firent bientôt entendre leurs cris, poings fermés et dirigés vers les cieux en gestuelle d'ire, tandis que d'autres s'étaient munis de projectiles. « Battez fort et n'épargnez point ce paillard, car il a bien pis desservi ! » S'époumona le père de l'agressé dans un phonème rauque, attisant plus encore le courroux de la foule. Gabran guigna ce dernier avec une certaine envie d'objurguer, mais il n'en fit rien et pressa la foulée de Léilhà pour parvenir plus rapidement à leur destination. L'échafaud fut alors en vue, ils s'immobilisèrent non loin et regagnèrent terre tandis que les préparations se poursuivaient. Dans quelques instants, le pauvre bougre serait installé face à sa culpabilité, et irait rejoindre ses aïeux... Mais de quelle main ? La masse populaire scandait et l'exécuteur de la haute justice vérifiait le tranchant de sa lame, ce qui ramena le suzerain à la requête formulée par son légataire, vers lequel il se tourna. Il le mira durant quelques secondes, cherchant à déterminer s'il irait au bout de sa volonté ou si son discours l'avait finalement dissuadé, ce qui n'était pas à exclure. Mais secrètement, il espérait que Bearach ne renoncerait pas, pour qu'il puisse peut-être prendre conscience de ce qu'il avait pu lui dire.

« J'ai confiance en toi. » Lui confessa t-il subitement, d'une intonation qui ne souffrait d'aucune incertitude. Il opina ensuite positivement du chef pour l'encourager et lui faire savoir que le moment était venu pour interagir avec la foule, et peut-être plus selon sa décision...
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Bearach MacGuffin
Bearach MacGuffin


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Fear cuts deeper
Than swords.

There's no shame in fear, my father told me, what matters is how we face it.
« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 995303tumblrmjygpsIBAm1rswapvo1250
So many vows. They make you swear and swear. Defend the King, obey the King, obey your father, protect the innocent, defend the weak. But what if your father despises the King? What if the King massacres the innocent? It's too much. No matter what you do, you're forsaking one vow or another.

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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptyDim 21 Avr - 21:53


❝ Le Corbeau critique la Noirceur ❞
© PEPPERLAND.

J'étais jeune et encore trop inexpérimenté, je ne le savais que trop bien. Si je le montrais peu, il n'était pas rare que je sois incertain ou perplexe. Il y avait bien des choses que je ne comprenais pas, des décisions que j'aurais voulu contester parce qu'elles me paraissaient injustes ou incompréhensibles. Père avait beau faire de son mieux pour m'inculquer ses valeurs, mon esprit n'était pas le même que le sien et en conséquence nous ne pouvions pas avoir la même ligne de conduite. J'avais conscience d'avoir pour parent un homme juste et droit, respecté de ses sujets. Moi-même je lui vouais une admiration sans bornes. Il était mon seul et unique modèle. Hélas, je ne pouvais devenir comme lui, car j'étais un être tout à fait différent. Il valait mieux que je termine de façonner l'homme que j'étais plutôt que d'essayer d'en être un autre. J'ignorais si je serais aussi bon que Père en tant que gouverneur, si je saurais faire preuve d'autant de discernement que lui. Car je savais que malgré tous mes efforts, j'étais un homme de sentiments, un homme de passion. Je ne ressentais que des émotions exacerbées. J'avais bien du mal à seulement apprécier ou mépriser. J'aimais ou haïssais avec passion. Il me faudrait apprendre à faire taire la voix de la passion, car elle me ferait courir droit au désastre. Aurais-je été un homme plus mesuré si ma mère ne m'avait pas été arraché si jeune ? Je ne le saurais jamais, mais j'avais l'intime conviction qu'elle aurait su m'apaiser quand personne ne le pouvait aujourd'hui. Je désirais tellement que quelqu'un soit en mesure de calmer mon cœur et mon esprit que c'en était presque ridicule. Pouvait-on à ce point désirer un peu d'affection que l'on aurait été prêt à se damner pour l'obtenir ? Le bon côté de la chose, c'était que ne croyant plus en Dieu, la damnation ne m'effrayait pas autant qu'elle aurait dû.

J'avais demandé à Père si je ne devrais pas me faire bourreau sans trop y réfléchir. Je n'étais pas certain de la réponse que j'attendais. Il n'était pas courant que les Lairds se chargent eux-mêmes des exécutions. Beaucoup ne se donnaient pas cette peine. Ils étaient plus nombreux encore à ne même pas faire le déplacement, au contraire de Père. Assister aux derniers instants du condamné était à mes yeux la moindre des choses. Cela permettait d'éviter les débordements. Je supposais que la foule n'oserait guère se montrer trop grossière en la présence de mon père. J'avais toujours trouvé cela étrange de voir le peuple se réunir devant l'échafaud pour assister au spectacle morbide qu'était une exécution. N'y avait-il pas des distractions moins cruelles et violentes ? Ah, l'étrange fascination pour la mort... Tous les hommes la partageaient. Voir un homme mourir en rassurait peut-être certains. Mais l'idée principale restait tout de même de dissuader la populace de répéter les actes du condamné. Comme l'avait si bien dit Père, l'homme devait servir d'exemple. Fronçant les sourcils, je détournai le regard un instant. Je n'avais jamais imaginé que prendre la vie d'un homme était une chose aisée, particulièrement lorsqu'il ne s'agissait pas d'un combat. S'il était possible que j'aie donné l'impression de prendre l'exercice à la légère, ce n'était pas le cas. Je comprenais de quoi il s'agissait, du moins je le pensais. Je savais que les exécutions étaient rarement aussi propres que les rumeurs pouvaient le laisser croire. Comme le disait Père, il fallait parfois s'y reprendre à plusieurs fois pour détacher une tête d'un corps. Certains bourreaux prenaient plaisir à faire souffrir les condamnés en n'entretenant pas leurs lames. Alors c'était un vrai massacre, une boucherie sans nom et le sang éclaboussait les premiers rangs de la foule. Je savais que le bourreau de notre domaine n'était pas de ces hommes là, je croyais me souvenir que Père l'avait choisi lui-même. De toute évidence ce serait lui qui accomplirait la besogne, ma réflexion ne trouvant que peu de sens à ses yeux... A moins que ? J'eus un petit sourire en coin, que je tentai de dissimuler. Père disait très souvent que l'expérience était la meilleure des pédagogies. Si je voulais être le bourreau il faudrait que j'en utilise l'arme, ce que je comprenais. Il me laissait le temps du trajet pour y réfléchir et prendre une décision définitive. Au fond de moi, je pensais déjà savoir. Car si je n'avais fait part de mon intention qu'à lui seul, je me serais senti lâche de revenir sur mes paroles le moment venu. Nul autre que lui ne saurait, mais cela me suffirait à me sentir honteux et couard. Et si j'étais beaucoup de choses, je n'étais certainement pas un lâche.

Une fois de plus emmuré dans le silence, je me mis en selle et nous rejoignîmes le petit groupe qui nous attendait à l'entrée de la cour. Si cela n'avait tenu qu'à moi je serais resté en retrait, mais ne le pouvant pas, je chevauchai à côté de mon père sans piper mot. Malgré l'agitation qui nous entourait, il me semblait que tout était atrocement calme. Je me faisais rêveur alors qu'il aurait mieux valu l'éviter, et mon regard vagabondait sur la pleine suivait parfois un quelconque flocon. Je faisais de mon mieux pour ignorer l'humiliation du malheureux. Si je ne pouvais rien faire contre, aucune loi ne m'empêchait de faire en sorte de l'ignorer. Je mourrais d'envie de hurler au père accusateur de se taire mais je n'en fis rien, sachant parfaitement que Père aurait désapprouvé. Je fus presque soulagé lorsque Père hâta sa monture. J'incitai Aodh à faire de même et il ne nous fallut guère plus d'un instant pour rejoindre l'échafaud. Je mis pied à terre et remis les rênes de ma monture à un jeune palefrenier. Derrière mon père, talonné de près par mes oncles et le petit seigneur, je rejoignis l'échafaud. Je perdis un instant toute contenance lorsque Père déclara soudain qu'il avait confiance en moi. Mon âme d'enfant en fut toute chamboulée. Sans m'en rendre compte j'avais planté les talons dans la neige et m'étais pétrifié un instant, et il fallut que mon oncle Malwyn me bouscule doucement pour que j'en ai conscience. Je secouai la tête pour reprendre mes esprits et me remis en marche. En un instant je me trouvais sur l'échafaud en compagnie des miens, de l'accusateur et de l'accusé. La foule s'était rassemblée, et si le badauds étaient nombreux, je m'étais attendu à plus. Le froid et la neige avaient dû en décourager quelques uns. Non pas que cela change quoi que ce soit me concernant. Qu'il y ait cent ou mille personnes, je devrais de toute façon dénoncer le crime du malheureux et la peine qui avait été choisie pour le punir. Dans mon dos, une corde se balançait. Elle ne servirait cependant pas aujourd'hui. Je pris une profonde inspiration et fis quelques pas en avant, me mettant ainsi en avant par rapport au reste des seigneurs, par rapport à mon père surtout. Un murmure parcourut la foule, qui s'attendait probablement à voir le Laird s'adresser à elle. Je levai doucement la main, et le murmure mourut aussi vite qu'il était né. D'un geste, j'incitai les soldats à faire monter le condamné. Ils le forcèrent à s'agenouiller à côté de moi, et je dus me faire violence pour ne pas le regarder avec compassion. Ce n'était certes pas le moment de se montrer faible. « C'est dans le seul but de rendre la justice que cet homme est présenté à vous aujourd'hui. Aucun méfait ne peut être oublié et encore moins pardonné. Le crime de cet homme est l'un des pires et en conséquence il doit être puni comme le veut la justice de notre pays. » Je m'étais exprimé d'une voix claire, d'un ton autoritaire qui ne souffrirait d'aucune interruption. Personne ne devait voir que j'étais nerveux. Je me tournai vers le condamné, qui gardait les yeux rivés vers le ciel, comme si... Eh bien, comme si c'était la dernière fois qu'il le voyait. Il les posa pourtant sur moi au moment où je m'adressais à lui. « Vous êtes accusé de tentative d'assassinat sur l'un des sujets de notre bon Laird Gabran MacGuffin, et qui plus est sur ses terres. Pour ce crime, vous êtes condamné à la peine capitale. » La foule sembla se soulever, et du coin de l'œil, je vis quelques hommes sourires et des enfants se cacher le visage dans les jupes de leurs mères. Je me retins de grimacer. « Cependant, puisque vous n'avez pas nié votre crime et l'avait confessé, vous êtes dispensé de la potence, mon père dans sa grande générosité vous accorde la rapidité de la décapitation. » L'homme avait déjà entendu tout cela. Je ne faisais que répéter pour la foule. Certains semblaient déçus, d'autres excités. Il y avait ceux qui aimaient voir un homme se débattre au bout d'une corde et ceux qui préféraient voir son sang couler. Et il y avait ceux qui appréciaient le spectacle quelque soit la façon de mourir.

Je m'écartai de quelques pas alors que l'on apportait le billot et que l'homme y posait la tête. Je fus étonnée qu'il ne se débatte pas. Il avait accepté son sort remarquablement vite. J'eus un sursaut lorsque je vis le bourreau s'avancer, épée en main. Mes yeux firent rapidement l'aller-retour entre Père et l'exécuteur. Je fis un pas en avant et tendis le bras. « Votre épée. » L'homme avait beau avoir le visage recouvert, je sentis qu'il était troublé par ma demande. J'eus un soupir. « Votre épée. » Je fus quelque peu agacé qu'il se tourne vers Père avant de me tendre sa lame. Je refermai les doigts autour du pommeau de l'épée et le bourreau s'écarta. Je fis mine d'ignorer les murmures dans la foule et surtout les protestations du petit seigneur. Il me sembla entendre mon oncle Darren lui demander de se taire, mais je n'en étais pas sûr. Je me rapprochai du condamné qui n'avait pas bougé et ne semblait pas plus surpris que cela. Après tout, cela ne faisait aucune différence pour lui. « Avant d'être décapité en présence de la foule, avez-vous un dernier mot ? » « Je m'en vais rejoindre mon frère ! Merci Monseigneur. » Je ne m'étais certes pas attendu à un merci. L'épée fermement en mains, je me mis de profil face au condamné, qui avait fermé les yeux. Tous retenaient leur souffle, moi y compris. Je levai la lame, et l'abattit fermement sur le cou du condamné. Elle n'était pas aussi tranchante que je l'aurais voulu et je ne sentis pas le bois l'arrêter. Alors avant que l'homme n'ait trop le temps de souffrir, je la dégageai et l'abattit de nouveau, avec tant de force que le billot se fendit à moitié alors que la tête détachée des épaules de l'homme tombait dans le panier qui ne tarda pas à suinter de sang. Un instant, je restai immobile, à fixer le corps dépourvu de sa tête rendre tout son sang. La neige s'était teintée d'écarlate à mes pieds. L'air grave, je rendis son épée au bourreau, et m'écartai alors que l'on venait retirer le corps. « Enterrez le rapidement, avant l'arrivée des charognards. » Les hommes acquiescèrent. Ils tirèrent le corps, laissant une trainée rouge derrière eux. D'un pas résolu je retournai aux côtés des miens et du petit seigneur, qui décidément ne décolérait pas. « Permettez moi de vous rappeler humblement que la profanation d'une tombe est un crime contre notre Seigneur. »

Je ne dis rien de plus, et après avoir échangé un regard avec Père, je descendis de l'échafaud. J'attendis d'être rejoins par le reste de ma famille avant de me remettre en selle. Cette fois ci, je fis en sorte de chevaucher en avant, pour arriver le plus rapidement au château. Comme au voyage d'aller je ne dis rien. Et il semblait que personne n'osa rien dire non plus. Certainement Père voudrait-il parler lorsque nous serons seuls. Je me demandais ce qu'il avait bien pu penser de mon discours et de mes actions. J'espérais ne pas l'avoir déçu. J'avais fait sincèrement fait de mon mieux. Mais rien ne me disait que mon mieux était suffisant... La neige commençait à tomber de plus en plus fort alors que nous nous rapprochions de notre domaine. Lorsque nous entrâmes dans la cour, les palefreniers vinrent s'occuper des montures. Et pour une fois je laissai Aodh entre les mains d'un étranger. L'animal me fit ressentir sa déception en hennissant longuement alors que je m'éloignais. Il aurait fallu que j'attende Père, mais j'étais soudain pris d'un besoin impérieux d'être seul. Si j'avais gardé la tête haute jusque là, je ressentais désormais le contrecoup. J'étais tout à coup là, épuisé. J'avais besoin de paix, de calme, pour pouvoir rassembler mes esprits et repartir à l'assaut.

Il y avait un endroit où je me rendais lorsque j'avais besoin de me retrouver. Un endroit un peu à l'extérieur domaine, connu de peu ou alors oublié depuis longtemps. Un endroit que moi je n'avais pas oublié et n'oublierais jamais. La tombe de ma mère. Elle avait été enterrée dans le bois, sous un pommier, un arbre qu'elle avait tant aimé. Ce n'était qu'un arbre, aussi nu que les autres en hiver. Et pourtant je l'aurais reconnu entre mille. Ma mère aimait m'emmener cueillir ses pommes chaque année. Ce n'était pas un grand arbre, il ne portait pas beaucoup de fruits. Mais si je n'avais été qu'un enfant, je me souvenais du rire de ma mère alors que je grimaçai après avoir croqué dans une pomme trop acide. Je me souvenais des fleurs qu'elle mettait dans ses cheveux, je me souvenais des quelques étés passés sous l'arbre... Et je me souvenais de l'arbre dépouillé de ses fleurs et ses fruits, le jour où elle avait été mise en terre. La tombe était presque entièrement recouverte de neige, et l'arbre paraissait aussi mort que celle qui l'avait aimé. Je m'étais agenouillé, et j'avais balayé la neige qui recouvrait la pierre. Comme à chaque fois, je sentis mon cœur se serrer lorsque mes yeux se posèrent sur le nom qui était gravé dans la pierre. Un nom. Juste un nom. Cela ne voulait rien dire, un nom. Pour lui faire justice, il aurait fallu évoquer son sourire, ses cheveux dorés, sa bonté, l'amour qu'elle donnait... Un nom ne signifie rien sans personne pour le porter. Ce n'était pas le nom qui faisait mal, c'étaient les souvenirs de cette femme qui avait été arrachée trop tôt à ceux qui l'aimaient. Il ne se passait pas un jour sans que je pense à elle. À chaque fois que je voyais celle qui l'avait remplacée, je pensais à elle, et j'étais fou de rage en plus d'être fou de douleur. C'était injuste, tellement injuste. Elle n'aurait pas dû mourir alors qu'elle était si jeune, si belle, et tant aimée. Surtout pas de cette façon. Personne ne disait jamais rien des femmes qui mourraient en donnant la vie. Cela non plus n'était pas juste. Elles étaient à mes yeux plus honorables que les soldats qui mourraient au combat, et tout aussi nombreuses. Mais il n'y avait pas de chansons pour elles. Parce qu'elles n'étaient que des femmes et que c'était leur devoir, de donner des enfants aux hommes. Et si moi aussi, je devais perdre ma femme de cette façon ? Cette pensée me terrifiait. Je ne voulais pas vivre la même chose que Père. N'étais-je pas suffisamment brisé sans cela ?

Quand je sentis une présence dans mon dos, je sus immédiatement de qui il s'agissait. Plus personne ne venait ici, Diane MacGuffin avait été oubliée. Plus personne ne venait sur sa tombe, hormis un fils qui n'avait toujours pas réussi à la laisser partir. Hormis un fils et un mari... Je ne me retournai pas, pas plus que je ne me relevai. La neige avait trempé mes vêtements mais je n'en avais cure. Je n'étais plus un seigneur, je n'étais plus un bourreau, j'étais juste un enfant ayant désespérément besoin de sa mère. Je l'avais toujours été. « Je viens ici plus que je ne le devrais. » Ce n'était pas sain, de visiter les morts aussi souvent. Hélas il me semblait qu'une mère morte me donnerait plus d'amour que ma belle-mère. Si seulement leurs places avaient pu être échangées. Je voyais le visage de cette sorcière rousse tous les jours, alors que celui de ma mère... « Je commence à oublier son visage. »
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Gabran MacGuffin
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Lowlands

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« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 13100606190997207
« La parole humaine est un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à en faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. »

« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 27990569877
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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptyJeu 25 Avr - 2:55

« Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie,
Faites s'abattre des grands cieux,
Les chers Corbeaux pernicieux.
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !
»








B
ras droit de la Faucheuse... Où était donc la différence entre se faire émissaire de Dieu, et séide du Diable ? La lisière était si fluette, si subtile, que le terme même de justice en devenait relatif. Etait-ce donc un bien-fondé que condamner un quidam éploré de la perte de son frère et unique être qu'il eut encore chéri... Etait-ce un bien jugé que se faire aveugle sur le presque meurtre d'un seigneur qui n'avait fait que guerroyer au nom de sa contrée, au nom de son laird... La vie était jalonnée d'iniquités, la vie était cruelle, la vie était... Inhumaine. Mais elle était tout de même La Vie, divine, indicible, à la fois géniteur et mère de toute chose. Et la voûte céleste larmoyait, elle sanglotait d'une poussière virginale, souillée dès lors qu'elle touchait terre, piétinée de l'Homme qui se pensait maître et centre de l'univers. De ceux qui avaient allègrement convergé vers la place centrale pour assister au piètre spectacle, à la sordide et bientôt sanguinolente représentation. Le gibet était une oeuvre tant prompte à épeurer qu'à enjôler, de sa sépulcrale fragrance,, les petites gens guère rassasiées par les ignominies que la fatalité leur offrait. Et pourtant, l'on pouvait bramer que la plèbe ne s'était pas entièrement déplacée, assurément retenue en leurs foyers, à la chaleur de leurs âtres et à l'abri d'hypothétiques troubles. Le public s'étendait bien suffisamment ainsi, il n'avait point besoin de plus de voix pour appeler le Maître des Hautes Besognes à faire son office, point besoin de plus d'ires enflammées ou mains prêtes à rudoyer de projectiles. Le gouverneur avait par ailleurs cru voir que leur futur trépassé n'était pas sorti indemne de leur furtif bain de foule, le faciès chamarré d'égratignures certes d'apparence bénigne, mais certainement davantage affligeantes pour l'âme et l'esprit. Bien malgré la pléthore de paradoxes qui se querellaient en l'être de Gabran, il ne cilla pas, sa physionomie sculptée du plus digne et inaltérable des marbres, tel un simulacre commémoratif que l'on aurait placé là. Il ne fut pas plus expressif lorsqu'il vit son fils s'avançait vers sa destinée, partir à la rencontre de ce pour quoi il était né, même s'il eut besoin de la taquine impulsion de son oncle pour ce faire. Darren se fit circonspect, étonnamment silencieux, bien que ses prunelles de ciel mirèrent le visage de son frère aîné bien moins impavide qu'il n'aimait à le montrer.

Ils virent les réactions coites, pantoises et dubitatives des indigents réunis, qui avaient à juste titre pensé que leur suzerain serait l'orateur de l'évènement. Ils s'étaient fourvoyés, erreur point si surprenante en soi, si ce n'avait pas été le phonème de l'héritier qui s'était élevé à l'instar de l'aquilon annonçant l'hiver. L'intervention eut son effet, emprunts d'une attention aphone, les spectateurs écoutèrent les griefs, et l'inéluctable sanction qui en découlerait. Des poings furibonds fendirent l'air en choeur avec les vociférations qui agréaient au discours de celui qui s'était fait maître de cérémonie. Aucune once de commisération pour celui qui susurrait son ultime patenôtre, espérant probablement se sauver du purgatoire une fois qu'il y serait envoyé. Nul ne le pleurerait, bien au contraire, les badauds valseraient sur sa sépulture, comme un antagonisme de plus déchu de son impudence, adéquatement châtié pour son forfait. Les commentaires allèrent bon train d'un tympan à un autre, sur cette hardiesse que l'on connaissait peu à l'héritier MacGuffin et qui était, selon beaucoup, de bon augure. Certains s'interrogèrent, était-il là sous la contrainte paternelle ? Etait-il celui qui avait rendu le jugement ? Sur toutes les lippes, ne demeurait plus qu'un nom, celui de Bearach, le Fervent. C'était la première fois que Gabran se retirait dans la pénombre de son rôle pour laisser la lumière gorger le halo de son légataire, la première fois qu'il entrevoyait véritablement le laird qui sommeillait encore en lui. Il s'abreuva de la moindre de ses paroles, étudia ses gestes comme n'importe quel dignitaire accoutumé aux détails somatiques l'aurait fait, les bras croisés sur sa poitrine, sur le chaudron héraldique ourlé sur le plastron de son atour. Soudain, la stupeur déferla sur toute l'assemblée lorsque l'éphèbe réclama l'estoc cultuelle au bourreau qui en fut désarçonné, et n'offrit son arme qu'à l'approbation gestuelle de son supérieur. Le seigneur accusateur maugréa dans sa barbe, aussitôt soumis au silence par le Maître-Veneur qui, juste aux abords de son aîné, glissa un mot à l'oreille de ce dernier.
« Mon frère, es-tu sûr que... ? Je le suis. » Lui répondit-il tout de go sans quitter son enfant de ses prunelles diaphanes. S'il n'était pas entièrement persuadé du bénéfice de l'exercice, il n'avait au moins aucun doute sur la résolution de celui qui s'en allait raccourcir un quidam d'une tête.

L'épée trancha, guère nette, mais elle trancha, une fois, puis une seconde plus hâtive et salvatrice pour le désormais étêté. Le parterre de roture s'enfiévra de diverses réactions, certains se crispèrent, se cachèrent, tournèrent les talons, tandis que d'autres se délectèrent et récitèrent quelques diatribes censées condamner l'âme du défunt à la Géhenne. Le blanc devint pourpre, Gabran fut affligé de voir le sang féconder la terre sur laquelle il veillait, mais les choses étaient ainsi. Contrairement à nombre de seigneurs qui ne s'émouvaient plus de ce genre d'exécutions, lui, sentait sa pompe cardiaque se congestionner, car au fond, l'on ne s'habituait jamais à la mort. Et si tel était le cas, cela désignait une tragique perte d'humanité. L'important restait toutefois que la peine avait été achevée, par un jeune homme qui s'était irréfutablement ceint de courage, mais qui était plus touché qu'il ne le montrait – Fils à son père ! Celui-ci écouta distraitement le préavis donné à son féal satisfait, puis il s'occupa de distribuer quelques ordres pour mettre fin à cet événement, avant de grimper sur l'échine de sa jument pour reprendre la route en direction de leur demeure. Il laissa la tête du cortège à l'éphèbe, un trajet de retour aussi froid et songeur que la neige qui chutait à gros flocons, obligeant le laird à frotter sa crinière de sa main pour en retirer le surplus de petits météores lactescents. La cohorte parvint au majestueux domaine, où ils furent sitôt accueillis par subordonnés et palefreniers venus quérir des montures pour les ramener à leurs stalles. A leurs bons soins fut abandonnée Léilhà, les pensées du suzerain voguaient d'ores et déjà vers d'autres impératifs qui l'appelleraient bien vite. Cependant, il aperçut du coin de l'oeil la fuite d'un certain bambin devenu grand, mais peut-être point assez. Sans doute était-ce mieux qu'il lui octroie l'intimité de la réflexion et hypothétiquement celle du repentir également... Oui, sans doute... Ou tentait-il de s'en convaincre ? Lui, abhorrait lorsque l'on venait l'importuner dans ces instants d'émoi. Il haïssait qu'on lui demande de s'épancher alors qu'il n'en avait aucunement l'envie. Certes, mais Bearach n'était pas lui.

Ainsi, le chef de clan eut tôt fait de talonner son héritier, pas le moindrement surpris en constatant que ses pas menaient directement à la futaie qui bordait le bastion, un endroit devenu sacré. A chaque fois qu'il en passait l'entrée, son organe cardiaque se serrait d'un indicible carcan d'épines, ce qui ne manqua pas d'arriver. Mais galvanisé par la probable détresse de son enfant, il ignora ses affres et pénétra la sylve dénudée de ses belles frondaisons d'été, pour apercevoir entre les arbres dégarnis, le galbe d'un Bearach agenouillé. Il s'en approcha, ne cherchant nullement à se faire discret, bien qu'il préserva un mutisme respectueux jusqu'à ce que la voix de l'apprenti lord ne s'élève d'elle-même. Il ne répondit rien à sa première tirade, sa foulée l'arrêta juste derrière lui, et ses calots épousèrent la sépulture presque entièrement recouverte de poudre d'opale. Son visage se rida instantanément, un étau lui prit la gorge, et son émotion connut un crescendo à la confession qui lui fut faite. Touché en plein coeur ! Gabran en tomba des nues, ses lèvres s'entrouvrirent et son regard s'orienta sur l'infortuné... Que dire à cela ? Transi tant d'effroi que d'effarement, il ne sut que faire, perdant tout le quant-à-soi acquis au grès de toutes ces années. En une phrase, une seule phrase, toutes ses défenses venaient d'être mises à bas. Sa main trembla... Etait-ce le froid ? Non... Ses phalanges s'avancèrent dans le dessein de se poser sur l'épaule de son héritier, mais... Il en fut incapable, et la ramena finalement vers lui. Quel père indigne... Voilà bien un titre qu'il ne méritait pas...


« ... » Il humecta ses lippes, les mots obstruaient son gosier et refusaient de s'en extirper. Il déglutit, ravala sa propre détresse, et souffla d'un timbre furtif et enroué de souffrance. « Elle est belle... » Elle ne l'était pas. Diane est belle, elle continue de l'être, car c'était une vérité absolue, immortelle. Si le veuf d'amour pensait continuellement à sa défunte épouse, il n'en parlait que très rarement. Dix huit ans... Presque deux décennies, et la douleur n'avait jamais connu d'accalmie, elle était toujours présente, toujours puissante. Preuve en était alors qu'il arrivait bien difficilement à la conjuguer au passé, lui qui s'était pourtant remarié si peu de temps après son départ. Père et fils n'en avaient jamais discuté, non, Gabran avait préféré fuir, s'éloigner, il avait abandonné son enfant dans l'incertitude, dans l'ignorance, dans le dénuement... Une attitude dont il avait affreusement honte, aujourd'hui encore, car Dieu lui en était témoin, il aimait son aîné bien plus qu'il ne s'aimait lui-même. Et jusqu'alors, il avait été incapable de rattraper son erreur... Du moins, telle était son impression. Le gouverneur se mit sur le côté et posa à son tour rotule au sol, et tout à fait inconsciemment, il eut le même réflexe que l'éphèbe, et balaya un peu plus la stèle pour la dégager de toute la neige, qui ne tombait plus qu'en un très fine pluie d'étoiles. Bearach put alors entendre un bruit qu'il reconnaitrait aisément, celui des perles qui s'entrechoquent, son géniteur avait plongé la main dans la poche de sa pèlerine pour en sortir son rosaire, qui ne le quittait jamais. Il l'enroula autour de ses doigts et le tritura instinctivement, en quête d'un lien spirituel et d'un réconfort qu'il espérait trouver dans sa foi. « Tu lui ressembles... » Avoua t-il alors, une innommable faiblesse teintant sa phonation. Ses yeux ne quittaient plus l'humble tombe qu'il venait fréquemment visiter, sans jamais l'enjoliver de fleurs, pour la simple et bonne raison qu'elles n'étaient qu'éphémères, et finissaient inexorablement par mourir... L'allégorie lui était insupportable. Plus de chef de clan qui tienne, il n'était plus qu'un homme comme les autres, qui arpentait son chemin de croix depuis si longtemps qu'il avait fusionné avec son calvaire, pour ne former plus qu'un. A cet instant, il sembla porter toute la misère du monde sur sa figure tirée par le désespoir, son masque était tombé, et il se sentait perdre pied. Ses paupières se fermèrent doucement, pour se rouvrirent quelques secondes plus tard, les prunelles scintillantes d'une humeur lacrymale qui lui fit se faire violence pour ne pas lamentablement choir sur ses joues, où elle ne ferait que geler. Pleurer... Il n'y avait nulle opprobre à cela, mais pas devant son fils, il s'y refusait... Du moins, tant qu'il était apte à contenir ses larmes. Dans l'espoir de calmer son eurythmie et la furieuse peine qui grondait en lui, il prit une grande inspiration nasale, à s'en faire imploser les valves pulmonaires, et qu'il expira par les mêmes orifices. « Tu as très bien agi sur la place publique, ta rhétorique ne souffrira assurément d'aucun blâme... » Reprit-il en forçant son phonème à une régulation plus normale. « La prochaine fois, n'omets simplement pas de décliner ton identité... Cela peut paraître idiot alors que la foule sait pertinemment qui tu es, mais dans ces déclarations, tu deviens la voix officielle de ta maison, et tu prouves, en te présentant à eux, que tu sais quel est ton rôle. Tu ne gagneras que plus de prestance en montrant quelle fierté tu places en ton patronyme... »

Gabran avait préféré changer de sujet, un comportement lâche, mais cela lui avait permis de retrouver un semblant de contenance et un minimum de maitrise de soi. Il n'avait jamais su comment parler de Diane avec son fils, alors qu'il aurait eu tant à lui dire la concernant, tant de louanges à faire. Peut-être était-ce à Bearach de se risquer aux questions, quand bien même son pater ignorait s'il serait enclin à y répondre, ou non. Le paradoxe était complet, l'ange perdu était ce qui les liait et ce qui les séparait tout à la fois, tout cela se complaisant dans des non-dits et incompréhensions mutuelles. Le laird se sentait responsable du chagrin de son aîné, il était profondément navré sans parvenir à le lui exprimer autrement qu'en essayant d'en faire un homme bon, ce qui était selon lui bien insuffisant. La sensation d'être davantage un seigneur qu'un père... Il y avait de quoi se flageller, et l'attitude de réserve de l'éphèbe ne l'aidait pas à savoir où et comment réellement se situer. Le dialogue, la panacée de tous les maux, ce dont ils manquaient cruellement... Le suzerain passa une main sur son faciès comme s'il voulait y éponger son tracas, puis, il se releva, le teint blême et creusé. Il patienta que son héritier en fasse de même avant de se tourner complètement vers lui, et de le contempler comme s'il ne l'avait point vu depuis d'innombrables et pénibles années.

« Je suis fier de toi... » La faille en son coeur lui ployait le courage et la volonté de se faire plus expressif qu'il ne l'était usuellement, car d'ordinaire, tous ses élans de tendresse étaient réservés à Rhona. Mais plus qu'une fierté du jour, la tirade était à prendre sous un aspect plus général, car il était fier, incroyablement fier de l'homme qu'il avait aujourd'hui devant lui. « … Mon fils. » Il hésita, mais se lança finalement. Gabran avala la frêle distance qui les séparait, ses bras entourèrent doucement Bearach, qu'il pressa contre lui, dans une étreinte chaleureuse et surtout, paternelle.
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Bearach MacGuffin
Bearach MacGuffin


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Than swords.

There's no shame in fear, my father told me, what matters is how we face it.
« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 995303tumblrmjygpsIBAm1rswapvo1250
So many vows. They make you swear and swear. Defend the King, obey the King, obey your father, protect the innocent, defend the weak. But what if your father despises the King? What if the King massacres the innocent? It's too much. No matter what you do, you're forsaking one vow or another.

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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptyDim 28 Avr - 19:33


❝ Le Corbeau critique la Noirceur ❞
© PEPPERLAND.


Conduire mon père auprès de la tombe de sa défunte épouse n'avais pas été mon intention. Je venais chercher du réconfort auprès de ma mère à chaque fois que j'avais besoin d'être rassuré, apaisé. Ce qui voulait hélas dire souvent. Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi le souvenir d'une femme disparue depuis maintenant bien des années me réconfortait plus qu'une personne dont le cœur battait encore. Je rêvais encore des bras maternels qui m'avaient enlacé enfant. Tout aurait été tellement différent si elle avait vécu... Il m'arrivait de songer à ce que notre famille aurait pu être si elle et l'enfant qu'elle avait porté n'avaient pas été si cruellement arrachés à la vie. J'aurais adoré avoir un frère. Nous aurions peut-être été très complices, je lui aurais appris tout ce que je savais, l'aurais protégé, le tout sous l'œil d'un père heureux, lui aussi. Comment pouvait-il continuer à placer sa confiance en Dieu alors qu'il n'avait pas sauvé sa femme ? J'avais perdu la foi, je n'avais plus prié depuis des années, et c'était tout simplement pour préserver les apparences que je prétendais encore de temps à autre être pieux. Je n'en avais jamais rien dit car je savais à quel point Père avait la foi. Quand Mère était morte il s'était raccroché à Dieu alors que j'avais choisi de lui tourner le dos. Qui avait eu raison, qui avait eu tort ? J'avais cessé de me poser la question, ayant compris depuis bien longtemps que je n'aurais jamais de réponse. Nous ne partagions peut-être pas la même foi, mais nous partagions la même douleur. Ou alors, pas tout à fait ? J'avais perdu ma mère, il avait perdu sa femme, une femme qu'il avait épousée par amour... Je ne pouvais me mettre à sa place. J'ignorais ce que cela faisait d'aimer et de perdre une femme. C'était une chose que je ne pouvais pas comprendre. Pas encore. Cependant, je me souvenais de la façon dont il regardait ma mère... Je n'avais été qu'un enfant, mais malgré tout j'avais vu tout l'amour qu'il lui portait, la fierté qui était la sienne quand elle était accrochée à son bras. Tout était absolument idyllique. Cela n'avait jamais été ainsi avec Sorcha. Il ne l'avait jamais regardée avec amour, pas même avec tendresse, je crois. Il en était de même pour moi. Si seulement elle avait fait un petit effort, j'aurais fait de même. Je ne lui aurais jamais demandé de m'aimer, seulement de me tolérer, de ne pas me donner l'impression de n'être qu'un moins que rien. Elle m'en avait toujours voulu d'être né, comme si Père aurait prévoir que sa première épouse ne vivrait pas. C'était pourtant elle l'étrangère qui s'était invitée dans notre famille, elle qui avait fait de ma vie un véritable enfer, elle qui...

Elle est belle ? La réflexion au présent de Père me tira de pensées brutalement et de désarçonna complètement. Ma mère n'avait pas été belle, elle l'était toujours. Je sentis mon cœur se serrer un peu plus dans ma poitrine. Pour deux raisons. D'abord, le fait qu'il évoque ma mère au présent ne faisait que raviver ma peine. Comment étais-je censé la laisser s'en aller mon père ne le pouvait pas ? Ensuite, parce que comme je le lui avais dit, je commençais à oublier son visage. Ses traits étaient flous, comme si j'étais agenouillé au bord de l'eau et qu'elle se tenait derrière moi. Je ne pouvais pas me retourner, je ne pouvais la voir qu'à travers son reflet tremblotant. C'était pire chaque jour. Probablement était-elle magnifique, oui... Mais je ne pouvais voir à quel point, je ne le pourrais plus. J'eus du mal à retenir une grimace alors que j'aperçus le rosaire entre les doigts de Père. Cependant je ne dis rien, car je respectais sa foi malgré tout. Puis je me retrouvai bien bête, à fixer mon père comme un imbécile, alors qu'il m'avouait certainement pour la première fois que je ressemblais à son défunt amour. Mes yeux se posèrent sur la tombe, puis sur mon père de nouveau. J'eus un petit sourire, qui mourut bien vite. « Étrange... Mes oncles n'ont de cesse de me répéter que c'est à vous que je ressemble. Sans doute ne peuvent-ils pas voir en moi ce que vous, vous voyez... je suppose. » Après tout, ils n'avaient pas aimé Diane. Si je lui ressemblais, ce devait être terriblement douloureux pour Père de me regarder. Pouvait-il seulement poser les yeux sur moi sans penser à celle qu'il avait perdu ? J'étais comme du sel dans une plaie ouverte. Et j'en étais désolé. Était-ce pour cette raison qu'il était parfois tellement distant ? Parce qu'il lui était trop douloureux de me regarder ? Si cela n'était pas de ma faute, je ne pouvais m'empêcher de me sentir quelque peu coupable. Ce n'était pas facile d'être la seule chose qui unissait encore mes parents. Certains diraient que c'était beau, mais ce n'était pas mon avis. Beau, cela aurait pu l'être, si Mère avait vécu.

Je fus surpris par le soudain changement de sujet. Je ne m'étais pas attendu à ce que Père revienne aussi vite sur ce qu'il s'était passé sur l'échafaud. Mais sans doute valait-il mieux qu'il le fasse maintenant. Je me doutais que c'était volontaire de sa part. Quand bien même il me semblait étrange d'écouter ses conseils alors que j'étais agenouillé près de la tombe de ma mère, je n'y prêtai pas une oreille moins attentive. Ah, j'avais oublié de décliner mon identité, en effet... Il est vrai que je n'avais pas pensé cela nécessaire. Cela avait été présomptueux; si la populace savait qui j'étais, ce n'était pas une raison. J'avais fait une erreur, je le reconnaissais bien volontiers. J'acquiesçai doucement, promettant silencieusement de ne pas refaire cette erreur la prochaine fois, si prochaine fois il y avait. J'ignorais encore si j'avais bien fait de me faire bourreau. Il me faudrait encore un peu de temps pour tirer une morale et peut-être un enseignement de cette histoire. J'aurais pensé que prendre la vie d'un homme ailleurs que sur un champ de bataille m'aurait davantage troublé. Si l'homme avait supplié pour sa vie, en aurait-il été autrement ? Je l'ignorais. Et là encore, peut-être était-ce simplement que je ne réalisais pas encore tout à fait ce que j'avais fait. Depuis que j'étais descendu de l'échafaud j'étais comme absent, encore plus distant que d'ordinaire. Il faudrait absolument que je me débarrasse de cette mauvaise habitude, si je ne voulais pas passer pour un ours auprès de ma future épouse. Il fallait absolument que j'apprenne à m'ouvrir et à me confier. Je ne pouvais décidément pas rester aussi mystérieux. Cela ne me servirait ni en tant qu'époux, ni en tant que Laird. Ce qu'il me fallait, c'était trouver le bon équilibre, à l'instar de Père. Hélas, j'étais de nature manichéenne, c'était tout ou rien. J'étais dans l'excès et la démesure, et si je tentais de me maitriser de mon mieux, ce n'était pas toujours aisé. Fort heureusement j'étais aussi quelqu'un de déterminé et je ne craignais pas de devoir changer pour devenir meilleur. J'avais conscience aussi bien de mes qualités que de mes défauts, et je devais encore me débarrasser de beaucoup de ces derniers afin de devenir un homme seulement à moitié aussi bon que celui qu'était mon paternel.

Père se releva et je l'imitai en grimaçant. Mes vêtements étaient trempés, mes membres engourdis par le froid. Un frisson parcourut mon mon corps tout entier, et je ramenai les pans de mon manteau contre moi, vaine tentative pour me réchauffer. Je n'avais pas conscience du regard de Père posé sur moi, car je ne parvenais pas à détacher mes yeux de la pierre tombale, désormais vierge de toute neige. Et puis des mots furent prononcés. Des mots qui eurent le don de me retourner complètement, car trop rarement prononcés. Père était fier de moi. C'était tout ce que j'avais jamais voulu entendre. Je tâchais toujours de faire de mon mieux, je crois plus pour le satisfaire que pour acquérir l'expérience qui ferait de moi un bon Laird. Depuis que mes sœurs étaient nées, j'avais eu terriblement peur de perdre son affection, sa confiance... J'avais eu tout simplement peur d'être remplacé. Personne ne m'avait préparé à l'arrivée de cette nouvelle famille. On m'avait juste dit qu'il fallait que j'accepte Sorcha, qu'elle serait l'épouse de mon père et qu'il n'y avait rien que je puisse y faire. On ne m'avait ni conseillé, ni épaulé, alors que j'avais désespérément besoin d'aide. Quand Mère était morte, je n'avais pas six ans. Comment aurais-je pu voir la nouvelle épouse de mon père autrement que comme une étrangère envahissante ? J'avais été mis de côté, et pour un peu je me serais presque senti comme un bâtard. Ce sentiment d'injustice ne m'avait jamais quitté. Il suffisait que je croise la rousse intrigante pour que je sente une rage infernale gronder en moi. Elle me détestait, mais je n'étais pas certain qu'elle sache à quel point je la haïssais. J'avais souhaité sa mort tellement de fois que cela en était criminel. Si Père avait su, il n'aurait probablement pas été aussi fier de moi... Mais peut-être savait-il ? Ce que je pensais de son épouse n'était un secret pour personne. Lui le premier devait se douter que je préfèrerais tomber sur ma propre épée plutôt que d'avoir un mot gentil pour celle qui avait ruiné mon idéal de famille.

Je fus surpris, presque choqué, lorsque je sentis les bras de Père se refermer autour de moi. Si je n'étais pas habitué aux compliments, je l'étais encore moins aux étreintes chaleureuses. Alors il me fallut un instant pour rendre son étreinte à mon père. Mais quand je le fis, je réalisai à quel point j'en avais eu besoin. La gorge serrée, j'avais refermé les bras autour de cet homme que j'aimais tant. Je n'étais plus un homme, je n'étais qu'un enfant un peu perdu, en mal d'affection. Je sentais les larmes me monter aux yeux, et pour une fois je ne fis rien pour tenter de les empêcher de couler; je les retenais depuis trop longtemps. Ce n'était pas souvent que l'on m'offrait une chance de me laisser aller aux sentiments, alors il me semblait important de la saisir. Je n'étais pas secoué par d'incontrôlables sanglots, mais je pleurais. J'étais fatigué, tellement fatigué de me montrer fort... Tellement fatigué d'être aussi seul. Je ne savais pas comment Père parvenait à garder la tête haute en vivant la même chose. Il ne pleurait pas. Tout à coup, j'eus honte de mes larmes, honte de ma jeunesse. Sois brave, avait-dit ma mère. Et j'étais là, à pleurer comme un bambin dans les bras de mon père. Brusquement, un peu trop sans doute un peu trop, je m'arrachai à l'étreinte paternelle, lui tournai le dos et essuyai mes larmes rageusement. « Sois brave et veille sur ton père. Ce sont les derniers mots de Mère à mon égard. Jusqu'ici, on ne peut pas dire que ce fut un grand succès. J'aimerais tellement pouvoir faire plus, pouvoir faire mieux... J'avais... J'ai besoin d'elle, j'ai tellement besoin d'elle. » Je n'aurais jamais cru qu'un jour, je désirerais aussi fort l'amour d'une femme. C'était idiot, faible. Ces derniers temps, j'avais presque constamment souhaité que ma promise soit en mesure de m'apporter l'amour dont j'avais tant manqué. C'était pathétique. Je soupirai bruyamment, car j'avais conscience de mon attitude puérile. Ce n'était pas ainsi qu'un enfant était censé réagir alors que son parent lui avouait qu'il en était fier. Ce n'était pas acceptable. « Pardonnez moi, Père. Vous me complimentez, je devrais vous remercier, au lieu de me lamenter. » Je passai si peu de temps seul avec lui autrement que pour parler politique c'était à peine si je savais me comporter comme un fils.

« Bien des choses me rendent nerveux, ces temps-ci. » Ce n'était pas une excuse digne de ce nom. J'étais censé savoir me comporter dignement quoi qu'il arrive. Me justifier était parfaitement inutile, puisqu'à mes yeux rien n'excusait mon attitude. « J'aimerais pouvoir vous dire que c'est le renouveau de la guerre qui me préoccupe, mais il n'en est rien. Mon... Mon mariage me préoccupe, Père. J'ignore absolument tout de ma future épouse et si j'ai entièrement confiance en vous, je ne peux m'empêcher de me poser mille questions... » Ce n'était peut-être pas le moment de parler de cela. En revanche, j'avais l'impression que l'endroit était le bon. J'avais besoin de la présence de ma mère en cet instant. Si elle avait été en vie, c'est auprès d'elle que j'aurais été chercher conseil afin de savoir comment me comporter comme un époux correct. Elle m'aurait très certainement expliqué comment m'adresser aux femmes, comment faire taire me doutes... Ce n'était certes pas à Sorcha que j'irais poser des questions sur la gent féminine. D'ailleurs, j'avais bien l'intention de la tenir loin de mon épouse à tout prix. Elle était bien capable de me faire passer pour un monstre auprès d'elle, si la demoiselle était un peu trop crédule. « Accepteriez vous de lever le voile sur le mystère ? J'aimerais au moins connaître son prénom, afin de ne pas me trouver comme un idiot le jour de sa venue. » J'eus un sourire, que je voulus joyeux, mais qui en réalité dut s'apparenter à une grimace. Je n'étais pas certain que Père veuille bien aborder le sujet. Si l'endroit me paraissait bien choisi, quoique je n'y aie absolument pas pensé au début, il pourrait penser le contraire. Si la présence chimérique de ma mère avait le don de rassurer, rien ne me disait qu'il en serait de même pour celui qui avait été son mari. Confus, je baissai les yeux, trouvant un intérêt soudain pour mes pieds enfoncés dans la neige.
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Gabran MacGuffin
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« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 13100606190997207
« La parole humaine est un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à en faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. »

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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptyMar 30 Avr - 10:35

« Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie,
Faites s'abattre des grands cieux,
Les chers Corbeaux pernicieux.
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !
»








A
mour perdu, ignoble marâtre, sentiments non exploités à leur juste valeur, affliction, regrets... La parfaite recette d'une dramatique ambroisie, Gabran avait parfois l'âcre sensation d'être l'un des protagonistes d'un mauvais conte comme ceux que l'on trouvait dans les ouvrages des plus grands dramaturges, ce qui n'était, en soi, guère de bon augure. Pour Dieu le Père lui avait-il donc tout offert, un patronyme dont il tirait une indicible fierté, des sujets auxquels il était dévoué et qui lui étaient loyaux en retour, une contrée jalonnée d'opulence sous bien des formes, une superbe épouse dont il avait été féru dès la première oeillade, un premier né mâle, un héritier... Presque deux décades d'années auparavant, il s'était persuadé qu'avec un tel entourage, il ne pouvait être que le plus heureux des hommes, et que nul ne pourrait changer cela. Candide jouvenceau de l'époque... La déferlante de tribulations avait razzié son monde, d'un coup d'un seul, il s'était retrouvé sans plus de boussole, privé de sa rose des vents, sitôt remplacée par une autre plante exclusivement faite de mucrons et d'épines. Lui aussi, se l'était moult fois demandé, pourquoi la déité à laquelle il s'était toujours montré fidèle, l'avait châtié d'une telle anathème, et continuait à le faire... Sans le vouloir, Sorcha l'avait fait replonger dans ses tourments, jadis, en échouant sa troisième grossesse, événement qui avait fini par docilement se dissiper dans son esprit, au grès des ans... Pour mieux connaître une douloureuse recrudescence, quelques semaines plus tôt, où l'inéluctable s'était derechef produit. Un autre fils mort-né, et de celui-ci, le laird n'était point certain de se remettre. Plus que déserter la couche conjugale et établir plus de distance qu'il n'y en avait d'ores et déjà avec sa Chattam de femme, il se trouvait, contrairement à ce que les apparences pouvaient bien suggérer, dans une anfractuosité émotionnelle qui l'excoriait lentement, pernicieusement. Il se sentait irrémédiablement faiblir, mais se refusait à faillir. L'heure du repos sur ses lauriers n'était pas encore venue, et peut-être ne pointerait-elle tant que cette conflagration d'inertie embraserait le pays d'Ecosse. Il ne pouvait guère encore se permettre d'alourdir le fardeau déjà présent sur les trapèzes de son fils, pas tant qu'il ne serait pas entièrement prêt. Mais chaque aurore levant, chaque crépuscule couchant, il se rapprochait de son dessein d'être le digne légataire de son père. Alors, à eux, si fervents, si pieux, pourquoi les avait-on amputé de la déesse de leur vie ? Une question substantielle qui ne trouverait pourtant jamais ni réponse, ni répit.

Mais à cœur meurtri, suffisait parfois l'onguent de la tendresse paternelle et réciproquement filiale. Si rare, qu'elle en devenait ineffable, immuablement précieuse tel un nectar de l'Eden dont l'on se délectait avec une prudence presque affectée. L'instant était suave bien qu'encore crispé, la mouvance s'était faite non sans réflexion, non sans analyse des hypothétiques conséquences qui en découleraient. Et tant que ses bras étaient les seuls à étreindre, le seigneur se fit quasiment pusillanime, incapable de prendre plus d'initiative. Il avait peur de ce qui traversait alors l'esprit du jeune homme, trop peu accoutumé à ce genre d'impulsion. Il craignait, que bien en dépit de leur attachement mutuel, Bearach finisse par le repousser pour le remettre sur son promontoire de chef de clan, plutôt que sur celui de père, pour lequel il ne méritait assurément pas de piédestal. Parfois, il se sentait bien cruel, de ployer une attention parfaitement explicite à Rhona, sans être enclin à en faire de même avec son aîné, qu'il aimait pourtant plus qu'il n'aurait jamais pu l'exprimer. Par ailleurs, il sentit tout à fait distinctement son eurythmie accroître de cadence lorsque ce dernier participa plus activement à l'accolade. Un signe bien suffisant, et cette fois, Gabran resserra l'étau protecteur dans lequel il avait enfermé l'éphèbe, le logeant tout contre lui, là où il pourrait ouïr la mélodie de sa vie sanguine. Comme pour profiter de chacune des secondes qui s'écoulait, à la cantilène de l'aquilon qui doucement soufflait, il ferma les yeux et laissa ses autres sens que celui de la vu, ou encore celui auditif se substituer à ceux-ci. Ses facultés olfactives profitèrent allègrement de la fragrance de son enfant, tel un arôme familier que l'on chercherait à se réapproprier. Puis, son contact, qu'il était truculent de constater sur le seul effleurement d'une personne en particulier était apte à vous faire frémir d'aversion, ou d'une toute contraire émotion. En cet instant, ce n'était rien de plus que le frisson du père qui lui arpentait l'épine dorsale, mais au creux du rachis de son enfant, ce fut une autre percussion qui se joua. La pulpe de ses doigts tout comme l'épicentre de ses paumes pensaient sentir une kyrielle de spasmes, si infimes qu'il aurait aisément pu ne point les déceler. Etait-ce... Les silencieux et pusillanimes sanglots de la révolte ? De la perdition ? Du Remord ?... Avant même qu'il n'ait eu l'opportunité de pousser les lisières de sa conjoncture, le jeune homme se déroba. Et si de tout son soûl, il aurait aimé pouvoir le retenir, le suzerain n'en fit rien. Discrètement, il déglutit pour ravaler son émoi, tandis que les derniers vœux de sa défunte adorée envers le fruit de leur union lui étaient révélés. Peut-être fut-ce parce qu'il se trouvait dans l'échine de son vis-à-vis, mais, les commissures de ses lippes se pincèrent en une risette chagrine, car il reconnaissait bien là ce qui eut été le tempérament de sa compagne et n'en était pas le moins du monde pantois.

En revanche, il se sentit désarçonné par la presque supplique d'un poupon sans repère maternel, et à cela, il ne répondit qu'en s'approchant, aphone, comme s'il escomptait à ce que son halo subtil suffise à le réconforter. Les plus belles déclarations se passaient bien souvent de vocable, aussi, le laird était-il là, présent, auprès de son enfant si celui-ci avait besoin de lui. Il espérait qu'au fond, Bearach en avait plus conscience que sa propension à l'isolement ne pouvait en témoigner. Sans l'interrompre, il lui prêta la plus attentive de ses oreilles, les occasions de l'entendre parler de son propre vouloir étaient bien trop rares pour qu'il ose faire incursion dans ses phrases, l'heure était à l'écoute, à l'analyse et au soutient. Ainsi, apprendre que son héritier était tarabusté par l'anxiété lui parut somme toute logique, avec les récents événements qui s'étaient produits dans les Northern Highlands et les évolutions géopolitiques. La situation était préoccupante... A un tel point qu'il ne soupçonna guère une seconde que ce n'était pas là son puits de trouble. Sot, ce fut ce qu'il se sentit être en comprenant promptement que le premier engrais de ses angoisses était semé par l'annonce de ses fiançailles. Bien entendu, comment n'y avait-il pas pensé plus avant ? L'indigne... Et il l'observa formuler son souhait de glaner quelques informations sur l'heureuse élue, ce dont il ne pouvait l'admonester. Jusqu'alors, il avait préféré faire silence sur ce sujet, et très rares étaient ceux qui pouvaient se targuer connaître l'identité de la donzelle dont il était question. Toutes les précautions avaient été prises, il ne prenait aucun risque à lui divulguer la vérité... Toutefois, il ne put s'empêcher de s'interroger sur la nécessité de la chose, se demander si le fait de lui révéler son nom était susceptible de changer quoi que ce soit... Non. Et c'est bien pour cela qu'après un court moment de quant-à-soi, il avoua, les calots égarés sur un monceau de neige légèrement sur sa droite.


« Cunningham. » Le patronyme était à lui seul un prélude sur ce que la sylphide pouvait être, car ces féaux étaient notoires des Lowlands pour nombre de leurs acabits, dont leur inénarrable loyauté et leur juste piété. Faits d'histoire éloquents qui avaient hardiment contribué à l'intérêt de Gabran concernant une potentielle union maritale. Cependant, si en ce nom résidaient une pléiade de renseignements dont l'éphèbe aurait pu se sustenter, ce dernier avait aiguillé son désir d'apprendre son prénom, comme, peut-être, une façon d'aller par-delà un aspect trop solennel avec celle qui était dorénavant affiliée à son destin. « Lady Stheane Cunningham. » Reprit-il dans un aveu qui ne lui avait coûté qu'un peu plus de réflexion. L'opaque voile de mystère, à défaut d'avoir été totalement retiré, était devenu diaphane et le jeune MacGuffin pouvait espérer distinguer quelque forme de curiosité ou d'espoir que ce soit à travers lui. Les prunelles d'azur céleste du chef se portèrent haut dans les cieux, où il remarqua que les astres nivales avaient cessé de leur choir sur le crâne. Il se mit de ce fait à épousseter sa pèlerine plus dans un geste instinctif qu'à réelle utilité, tandis qu'une nouvelle volute de fumée s'échappa de ses lèvres desquelles naquirent aussi d'autres termes. « Tu l'as assurément déjà aperçue lors de quelques-unes de nos joyeuses frairies, je ne doute point que son charme enjôle les beaux sieurs autant que sa verve ravit l'ouïe. » Le laird en octroyait plus que convenu, mais il laissait ainsi suggérer qu'il n'avait guère fait que dialoguer avec le seigneur de maison dans le dessein d'obtenir la main de sa fille. Son implication personnelle avait été bien plus affilée, et la jouvencelle en avait été la première martyre, comme se plut-il à le préciser alors. « Je l'ai rencontrée à diverses reprises et me suis attardé en conversations, je crains de ne l'avoir rudoyée en terme de torsions spirituelles et psychologiques... Darren a raison lorsqu'il me dit enclin aux logorrhées selon les occasions. Fichtre... » La graduation de sa voix s'était faite d'apparence résignée à l'aboutissement de sa tirade, où un succinct soupir vint parachever cette impression, comme s'il était lui-même éreinté de se savoir parfois si loquace. « Mais tu penserais à tort si tu subodorais être le seul en proie à la nervosité, le poids est double pour damoiselle Stheane qui s'en vient à la rencontre de l'héritier MacGuffin. Toutes les dames peuvent devenir épouses de Laird, mais toutes ne le sont pas. »

Ce qui pouvait résonner comme un profond paradoxe dans sa réplique était en réalité d'une extrême subtilité, qu'il espérait comprise de son fils. Femmes de Laird, toutes les jouvencelles pouvaient prétendre à ce titre qu'elles acquéraient par le sacre du mariage. Oui, mais, ce n'était guère un usuel statut de compagne, plus que vouées à rapprocher deux familles, plus que destinées à créer et porter la vie en leur matrice, elles constituaient un pilier et devaient savoir éduquer, aimer et intriguer tout à la fois. Certes, la disparité des genres faisait de cet univers un environnement principalement phallocrate, mais il aurait été particulièrement fou et stupide de considérer que ces dames n'avaient pas un rôle substantiel au sein de leur société. Sorcha était, bien en dépit des rancoeurs que sa haine et son opportunisme lui attiraient, un bon exemple en la matière. Si son personnage n'était pas basé sur l'excès, s'ils avaient été en mesure de s'aimer et de se soutenir, nul doute possible sur le fait qu'ils auraient formé un redoutable binôme. Les choses n'avaient malheureusement point évolué en ce sens, et même s'ils se trouvaient dans le même camp, leurs mœurs étaient de trop différentes pour s'harmoniser. Un potentiel gaspillé, Gabran le savait, et la faute était partagée. Ce n'était pas une perspective conjugale qu'il désirait pour son fils, raison pour laquelle Stheane n'avait pas échappé à des interrogatoires dans les règles de l'art, à des épreuves dont elle n'avait peut-être pris conscience qu'après coup ou dont elle ne s'était toujours pas rendue compte. Dans tous les cas, c'était le gouverneur qui l'avait choisie, lui, et personne d'autre, après une longue réflexion et une étude minutieuse des autres prétendantes qu'il avait déjà harponnées. La belle était celle qu'il fallait à Bearach, elle l'en avait convaincu, aujourd'hui, tout ne reposerait plus que sur l'importance que le jeune homme donnerait à cette relation et les actions par lesquelles il en témoignerait.

« Mais c'est normal d'être nerveux... » Le rassura t-il à brûle-pourpoint, bras croisés sur son poitrail. « C'est si tu ne l'avais pas été que j'en serais devenu inquiet. Cela prouve que tu prends les choses à cœur et que ces fiançailles trouvent en partie écho en toi. Je ne veux pas que tu sois de ceux qui acceptent une dame dans leur vie par dépit, leur font des enfants et les relèguent au statut d'objet d'ornementation qu'ils se plaisent parfois à traîner avec eux lors d'événements. Il n'y a rien de plus affligeant... » Il se garda de citer son propre couple en illustration, mais son fils ne manquait pas de sagacité, aussi discernerait-il plausiblement une pointe d'auto-flagellation dans ces propos. Il humecta ensuite ses lèvres asséchées par la froidure ambiante, et tourna son regard vers le jeune homme, le couvant d'une intensité qui présageait que les paroles suivantes seraient bien moins empruntes de cette nonchalance qui pointait irrémédiablement lorsqu'il évoquait, même tout à fait tacitement, Sorcha. « Je l'étais aussi en épousant ta mère... » Et ses prunelles teintes d'amour éperdu de biaiser vers la sépulture, assailli qu'il fut par une déferlante de souvenirs. Pourtant le contexte n'était vertement pas le même, Diane et lui s'étaient connus avant que Gabran n'accède à la régence des Lowlands, et c'était lui, qui s'était échiné sitôt après l'inopiné trépas de son paternel pour obtenir la main de la Fergusson. Leur passion commune ne l'avait pas épargné de l'angoisse du mariage, même s'il l'avait ardemment convoité. La peur n'était pas la même pour l'éphèbe, mais, il était rassurant de constater que pour le père comme pour le fils, ce genre d'union n'était pas synonyme de fioriture. « C'est à moi de veiller sur toi, Bearach, pour que tu puisses, plus tard, en faire de même avec nos ouailles. Contente-toi d'être brave, et n'aie crainte pour ton vieux père. »
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Bearach MacGuffin
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Than swords.

There's no shame in fear, my father told me, what matters is how we face it.
« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 995303tumblrmjygpsIBAm1rswapvo1250
So many vows. They make you swear and swear. Defend the King, obey the King, obey your father, protect the innocent, defend the weak. But what if your father despises the King? What if the King massacres the innocent? It's too much. No matter what you do, you're forsaking one vow or another.

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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptySam 4 Mai - 21:54


❝ Le Corbeau critique la Noirceur ❞
© PEPPERLAND.


Tout ceci était très embarrassant. J'aurais préféré que mes préoccupations soient autrement plus importantes. Je me sentais comme un parfais idiot, à quémander des informations se rapportant à l'identité de ma promise. Je n'avais pourtant aucun doute, assurément Père m'aurait choisi une épouse qui me conviendrait. Hélas cela avait été plus fort que moi, il avait fallu que je demande, car il fallait que je sache. Je portais peut-être plus d'intérêt que je n'aurais dû à cette union. J'étais incapable de voir cela comme une alliance, tout simplement. Car de cette alliance dépendrait non seulement mon futur, mais également celui d'une jeune femme encore inconnue et plus encore celui du clan. Car à moins que mon affreuse belle-mère ne réussisse à se débarrasser de ma personne, lorsque je prendrai la place de mon père, ce serait alors mes propres enfants qui deviendraient les héritiers. Seigneur, j'étais encore moins prêt à devenir père que je ne l'étais à me marier. À mon âge, Père était déjà Laird, marié et veuf et père. Autant de choses que je n'étais pas et que je craignais de devenir plus que je ne voulais bien l'admettre. J'avais déjà bien du mal à m'en sortir avec moi-même, alors un enfant... ? Rien que d'y penser, je frissonnais. Il était évident que je n'aurais pas le choix, mais pour le moment je n'étais pas très enthousiaste. Le fait que ma promise me soit tout à fait inconnue était probablement l'une des raisons qui faisaient que j'étais incapable de me projeter dans l'avenir, aussi proche soit-il. J'aurais beaucoup moins de mal (et beaucoup moins peur) à envisager le futur si je pouvais au moins associer un nom au mien. Je ne serais d'ailleurs pas le seul à associer le nom de la Lady au miens. Toute l'Écosse le ferait, puisqu'elle serait ma femme et que malheureusement pour la demoiselle, j'étais destiné à devenir Laird de l'un des plus grands clans du pays. Je préférerais mille fois que cette perspective effraie la demoiselle. Rien ne serait pire pour moi que de me retrouver avec une femme semblable à Sorcha entre les pattes. Il y avait néanmoins bien peu de chances pour que cela arrive. Père connaissait mon caractère, lui mieux que personne savait que je ne supporterais pas une telle femme. Son but n'était pas de me rendre malheureux,bien au contraire. Je le soupçonnais d'avoir fait autant attention aux qualités de ma future épouse qu'aux avantages qu'un tel mariage pourrait nous apporter. Lorsque l'on naissait dans une famille si importante, on ne faisait que très rarement un mariage d'amour. Mais étrangement, cet aspect là de la question ne m'inquiétait pas énormément. J'avais entendu bien des Lords dire qu'ils n'avaient pas aimé la femme qu'ils avaient dû épouser, mais qu'ils en étaient tombés amoureux au fil des ans et que pour rien au monde ils ne feraient un autre mariage s'ils avaient la possibilité de changer les choses. Une vieille cuisinière m'avait un jour dit que ces mariages étaient parfois plus forts que les autres. Car tous les mariages d'amour n'étaient pas bénis, et beaucoup finissaient en tragédie...

J'en avais un parfait exemple dans ma propre famille. Père n'avait pas été un homme très chanceux. Sa première épouse qu'il avait aimée l'avait quitté brusquement, et sa seconde n'était pas de celles que l'on pouvait aimer. Je me demandais si j'aurais les épaules assez larges pour en supporter autant si je devais un jour faire face à la même malédiction. Je n'en étais pas sûr. J'avais bien du mal à imaginer ce que Père avait bien pu traverser. Si jeune et déjà si blessé par la vie... N'était-ce pas trop pour un seul homme, pour un seul cœur ? Qu'il soit encore debout et vaillant relevait à mes yeux du miracle, et ne faisait qu'accroître mon admiration pour lui. Chaque jour j'avais l'impression de découvrir un plus grand homme que la veille. En était-il de même pour ses vassaux, ou était-ce simplement le fils qui laissait son admiration pour son père l'aveugler ? Quelle que soit la réponse, il était certain que je buvais chacune de ses paroles et je retenais ma respiration sans avoir réellement conscience, attendant avec une certaine appréhension qu'il me révèle l'identité de ma promise. Lorsqu'il lâcha enfin le nom, j'ouvris la bouche, plus par réflexe que par réel désir de m'exprimer car au fond, ce n'était pas vraiment une surprise. Les Cunningham étaient des vassaux loyaux dont l'aide nous avait été précieuse à de nombreuses reprises durant la guerre. J'avais vu le Laird Cunningham à de nombreuses reprises, lors des réunions de clans, mais je devais bien avouer que je ne lui avais pas porté plus d'attention qu'aux autres. Grossière erreur, de toute évidence. Encore que, ce n'était pas si grave que cela. Après tout c'était la fille du Laird que j'allais épouser, non le Laird lui-même. À ce propos... Il me semblait avoir retenu qu'il avait deux filles, toutes deux âgées d'environ le même âge que moi. Je fronçai légèrement les sourcils, me demandant un instant si Père en dirait davantage ou si je devrais me contenter du patronyme de la demoiselle.

Non. Lady Stheane Cunningham. Un prénom, un nom, et tout de suite je dépossédais la jeune femme du dernier pour le supplanter par le mien. Car elle ne ferait bientôt plus partie des Cunningham, mais deviendrait une MacGuffin, Lady Stheane MacGuffin. Je me surpris à sourire, car cela sonnait plutôt bien à mes oreilles. Néanmoins ce n'était qu'un nom, il m'en faudrait bien plus pour me faire une réelle idée. Les sourcils davantage froncés, les bras croisés sur mon torse, je réfléchissais. J'avais en effet déjà dû apercevoir la jeune femme, son père ne l'avait certainement pas gardée enfermée dans une tour pour la cacher. Il me fallut un moment pour me souvenir. Si ma mémoire ne me faisait pas défaut, je l'avais rencontrée au cours de l'année précédente, à une réception, je crois. Je me souvenais d'une jeune femme souriante, à la fois tempérée douce et pleine de vie. Et si les traits de son visage étaient flous dans mes souvenirs, je me souvenais fort bien d'une chevelure cuivrée, qui n'était pas sans me rappeler celle des femmes qui m'entouraient. Ce n'était qu'un détail, mais un détail qui me faisait grincer des dents autant qu'il me faisait sourire. J'étais donc condamné à vivre entouré de dames à la chevelure incandescente ! Celles là pouvaient être aussi bien ange que démon. Je n'avais pas été choqué par quoi que ce soit en Lady Stheane, hormis par la douceur qu'elle dégageait. Si j'étais chanceux, elle faisait partie des anges, à l'instar de ma chère Rhona. De toute évidence Père avait fait attention à elle, il ne s'était pas contenté de parlementer avec le père de cette dernière dans le but d'obtenir sa main. Cela n'avait guère dû être très compliqué. Les Lairds avaient tous essayé de faire de l'une de leurs filles l'heureuse élue. Les mauvaises langues auraient sans doute dit que la quête pour ma future épouse avait dû s'apparenter à un marché. Les pères auraient été prêts à dire n'importe quoi pour voir leur fille choisie et s'assurer ainsi une place de choix dans notre région, car une famille liée à celle du gouverneur gagne assurément en puissance. Le Laird Cunningham n'avait sans doute pas fini de se vanter... Je soupirai. « Je suppose que si elle a su converser avec vous à de nombreuses reprises, elle a de l'esprit. C'est une qualité que j'apprécie. » Je ne voulais pas d'une femme à qui on avait seulement appris comment être jolie et discrète. Je voulais plus qu'une simple compagne, je voulais une confidente, une amie, pourquoi pas une conseillère. C'était m'avancer que de demander toutes ces qualités à ma promise, mais je ne voulais pas d'une poupée silencieuse et misérable pour femme. Pas plus que je ne voulais d'une étrangère à mes côtés pour le restant de mes jours. « Je me souviens avoir échangé quelques mots avec Lady Stheane, au printemps dernier il me semble. Elle sera parfaite, je n'en doute point. »Ou du moins j'essayais de m'en persuader. Je ne doutais pas que Père ait fait attention en choisissant, car ce n'étaient pas les prétendantes qui manquaient. Et puis je ne me sentais pas le droit de remettre en question son jugement, pas avant d'avoir réellement fait connaissance avec la jeune femme, qui n'était finalement qu'une étrangère avec laquelle j'avais brièvement conversé. Il me faudrait passer un peu de temps avec elle pour me forger une opinion.

J'eus une grimace lorsque Père me fit remarquer que si j'étais nerveux, ce devait être mille fois pire pour Lady Stheane. Certes je me plaignais, mais au moins m'étais-je toujours attendu à un jour avoir d'importantes responsabilités, ce qui n'étaient peut-être pas le cas de ma fiancée. Elle serait soumise aux regards, aux critiques, aux commérages, elle ne pourrait faire un pas sans être observée, étudiée. Si elle tardait à me donner des enfants on me forcerait la main pour que je m'en débarrasse, si elle était trop douce on dirait qu'elle manquait de caractère, si elle en avait trop on dirait qu'elle n'était pas à sa place... Être une femme était très certainement beaucoup plus contraignant qu'il n'y paraissait. « Fort heureusement, Lady Stheane a de longues années devant elle avant de devenir épouse de Laird. Je ne suis encore que l'héritier. » Je sous-entendais sans vraiment le cacher que je n'étais pas prêt à succéder à un père qui de toute façon n'en était pas encore à devoir me laisser sa place. J'avais encore bien des choses à apprendre, et de l'expérience à acquérir. Si je n'étais plus aussi jeune que je me plaisais à le penser, je n'avais tout de même pas encore l'étoffe d'un dirigeant. J'étais encore trop tête en l'air, trop rêveur. J'étais bien meilleur au combat que je ne l'étais en politique. Je ne saisissais pas encore toutes les nuances du jeu. En réalité, j'avais l'impression que beaucoup trop de choses m'échappaient et cela me déplaisait tout particulièrement.

Aussi normale que puisse être ma nervosité, je n'en étais pas moins gêné. Je n'étais pas de ceux qui dévoilaient leurs émotions au grand jour, mais de ceux qui les gardaient pour eux, quitte à s'étouffer avec. Les événements de la journée m'avaient très certainement secoué, c'était la seule explication que j'avais pour justifier cet embarrassant déballage de sentiments. Néanmoins j'étais bien heureux, car il me semblait que Père faisait de même. Il était assez rare que nous parlions réellement l'un avec l'autre, encore plus rare que nous parlions de l'un avec l'autre, pour que j'apprécie le moment. Je saisissais parfaitement les sous-entendus de son discours. L'allusion à son mariage avec Sorcha ne m'avait pas échappée. « Je ne ferai pas de ma femme une poupée que l'on traine partout et avec laquelle on joue lorsque l'envie nous prend. Je veux qu'elle ait l'impression de faire partie de notre famille, aussi... » Je me tus un instant, cherchant un mot qui ne serait pas trop insultant. Car notre famille était tout sauf un exemple d'unicité et d'amour. « … Particulière soit-elle. Il sera de mon devoir de faire en sorte qu'elle se sente à la place chez nous. Je ne veux pas qu'elle soit malheureuse. Ce sera certainement assez dur pour elle de se retrouver loin des siens. » Car c'était toujours la femme et non l'homme qui devait quitter la chaleur de son foyer pour un autre, qui n'était sans doute pas toujours à la hauteur de ses espérances. Quelles que puissent être mes relations avec Lady Stheane, c'était le minimum que je devrais faire. Je ne pouvais pas lui demander de devenir ma femme et de porter mes enfants alors qu'elle n'aurait l'impression de n'être qu'une étrangère. Ce n'était pas ma conception du mariage. Hélas, tout ne se passait pas toujours comme prévu. « L'étiez vous aussi en épousant Sorcha ? » Je m'étais souvent demandé ce que Père avait bien pu ressentir en épousant cette femme alors que le deuil de sa première n'était pas terminé. Avait-il seulement ressenti quelque chose, alors que moi j'avais vu cette union comme une trahison de la pire sorte ? Je soupirai longuement. Comment n'avais-je pas pu encore me débarrasser de toute cette rancœur ? Cela ferait bientôt vingt ans. C'était long, bien trop long. Mère n'aurait certainement pas voulu que je m'acharne à détester Sorcha, elle n'aurait pas voulu que je me rende malade à cause de sa seule existence. Les choses étaient comme elles étaient. Ce n'était pas juste, mais la vie l'était rarement. Il me fallait aller de l'avant, et cesser de faire un pas en arrière pour deux pas en avant. J'espérais, probablement au même titre que Père que ce mariage me permettrait d'avancer. Je cesserais bientôt d'être un enfant pour devenir un vrai homme, un mari, avec toutes les responsabilités que cela impliquait. Un sourire à la fois triste et jovial, je posai une main sur l'épaule de Père. « Mais, Père, si je ne veille par sur vous, qui le fera ? » Il n'y avait personne sur cette terre qui méritait plus mon respect et mon attention que lui. Il avait tant fait pour moi que je me sentais redevable, qu'importe si il pensait n'avoir fait que son devoir de père. « Et puis, vous n'êtes pas si vieux, vous avez encore de bien belles années devant vous. »
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Gabran MacGuffin
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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptyMar 7 Mai - 2:14

« Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie,
Faites s'abattre des grands cieux,
Les chers Corbeaux pernicieux.
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !
»








I
nconsciemment, Gabran venait de se libérer d'un certain poids en levant l'opaque voile du mystère sur l'identité de cette fiancée. Aucun contrat de destin n'avait encore été estampillé du sceau MacGuffin, ainsi, les perspectives d'avenir n'étaient que profusion, elle était comme cela, l'iniquité de la vie. Dieu lui en était témoin, dans l'océan de la paternité, il avait bourlingué de tout son soûl, sur un boutre dont il était capitaine, rameur et mousse. Seul, face aux décisions cartographiques, l'unique, à pouvoir éviter les écueils qui menaçaient à chaque manoeuvre de percer sa coque pour mieux lui faire prendre l'eau, à lui, puis à son équipage d'hôtes, composé des membres de sa famille, et de ses sujets. Tenir la barre, contre vents et marées, était une épreuve chaque jour renouvelée. Parfois, la mer était paisible, sous l'astre diurne et les nues d'opale... Par d'autres moments, ce n'était que houle belliqueuse et voilure assaillie par les bourrasques, alors susceptibles de les faire dévier de leur direction, si le roi du pont s'avérait incompétent. Et il espérait le plus sincèrement du monde qu'il ne l'était point, qu'à défaut de préserver ses gens des ballotements émétiques du voyage, il les gardait et les garderait à jamais du naufrage, jusqu'à céder les brides du navire à son héritier. Oui, il avait mis toutes ses viscères à l'ouvrage, en allant lui-même à la rencontre des prétendantes au titre, sans jamais se contenter de belles paroles et promesses de leurs pères, quand bien même les respectait-il. Nul ne pourrait l'encenser, quitte à faire de sa prudence un état compulsif, il avait pris le temps et mis les efforts nécessaires pour ne jamais avoir à regretter son choix. La donzelle Cunningham avait été par moult fois analysée, de l'esprit, de la sagacité, de la répartie, le laird jugeait qu'elle en dégorgeait. Elle avait su lui plaire, le charmer de ses manières et de son intellect, de son onctueuse humilité qui n'avait pas été sans lui remémorer une ondine jadis épousée. Pour autant, il n'était point sot, aussi n'avait-il pas chercher une future belle-fille qui n'aurait été qu'une pâle copie de Diane, auquel cas son comportement n'en aurait été que malsain. La sylphide avait son caractère propre, ses jolies différences, mais le plus important, il la pensait compatible et encline à apporter le soutient dont son fils avait cruellement besoin. Leur sentier commun ne serait pas exempt de barricades et tribulations, mais de toute erreur l'on tirait leçon, et ils n'en ressortiraient alors, ensemble, que plus forts.

Malgré tout, il le connaissait, son fiston, et pensait pouvoir assumer la prétention de savoir ce qui lui siérait en guise de compagne. Bearach en avait conscience, et c'était là le principal. Lorsque celui-ci exprima sa certitude que lady Stheane ferait une parfaite épouse, le suzerain acquiesça d'un hochement de tête, ravi de constater que la demoiselle n'était pas totalement une illustre inconnue dans l'esprit alambiqué de son enfant. En revanche, quant à savoir si elle aurait de longues années – et lui également. - avant de pleinement assumer son rôle... Gabran se tût. Un silence froid à l'instar d'un souffle d'hiver, inintelligible, et assurément désagréable si l'on y était pas préparé. Il feignit de n'avoir pas entendu, car s'il se penchait très volontiers et avec un zèle sans pareil sur le futur de ses descendants ainsi que ceux de ses proches de façon générale, le sien, il abhorrait y penser. Simplement car cela faisait bien longtemps qu'il ne voyait plus aucune lueur salvatrice dans le sombre tunnel qu'était sa vie, et dans cette spéléologie spirituelle, il estimait que la seule nitescence un jour capable de l'éclairer serait celle du Père des Cieux, lorsqu'il le rappellerait à lui pour rejoindre un ange perdu. Ce genre d'état d'âme, son légataire n'avait aucun besoin ni intérêt de les ouïr, c'était là la croix à porter de son géniteur, non la sienne. En revanche, si le gouverneur avait pu se crisper suite à cet impair involontaire, il fut profondément soulagé de s'entendre dire que la vénus serait davantage reine de coeur que de pique pour son futur mari, de leur couple résulterait une complicité salutaire, pour eux, pour tous. Puis... Ce fut derechef la décrue, à la façon dont l'éphèbe eut de caractériser sa famille. Il avait véritablement tenté de mesurer le terme choisi, mais pourtant, son père en fut ardemment blessé... Il ferma les yeux et inclina sa tête vers l'avant, sa main vint se juxtaposer à son faciès pour en cacher le tourment, pour épargner à son vis-à-vis la lecture des affres qui s'y étaient peintes. Dans un même élan, il soupira de façon fébrile, comme si une flèche venait de se ficher en plein poumon et l'empêchait de respirer. Que c'était douloureux... La vérité l'était toujours, inexorablement. Le jeune homme n'avait fait que la soulever, mais cela avait suffit. Finalement, ce n'était pas lui qui l'avait meurtri, ce n'était que la véracité, l'affreux constat qu'il avait lamentablement échoué dans la gérance et le bonheur de sa propre famille. Il se sentait... Maculé d'opprobre et de désespoir, si bien qu'il susurra un furtif et cuisant :
« Navré... ». Car des excuses, il en devait. Il considérait ce morcellement familial comme un échec personnel, auquel il avait pourtant activement participé, et pour lequel il ne témoignait d'aucune volonté dans un quelconque but de panser les faits. Il était impavide et austère avec sa femme et sa cadette, parfois trop impérieux avec son aîné, trop absent pour sa benjamine... Un paternel et un compagnon exemplaire ? Certainement pas.

Une grande bouffée d'oxygène plus tard, et le laird se fit violence pour recouvrir sa contenance. La pulpe de ses phalanges frotta son front ridé comme si une migraine se préparait à l'assaut, alors que ce n'était que le fardeau de la fatigue, un éreintement mental plus que physique. Il révéla enfin ses quartz oculaire à la clarté nivale, et à son fils, lorsque celui-ci s'enquit de son ressentit lors de ses secondes épousailles. Cette discussion ne se prêtait pas au lieu de repos dans lequel il se trouvait, il manqua d'ailleurs de tiquer en entendant le prénom de la Chattam qu'il craignait pouvoir altérer la sépulture de Diane par sa seule prononciation. Présentement, il n'avait aucune envie de s'épancher sur ses sentiments d'antan, lorsqu'il avait conduit Sorcha aux devant de l'autel avec la volonté d'un cadavre que l'on avait kidnappé à sa tombe. Le pire et plus sombre mariage auquel il avait jamais assisté – son propre mariage, et il y avait de quoi en être affligé. Peut-être Bearach avait-il gardé quelques brefs souvenirs de cette cérémonie, à une époque où il n'avait été qu'un bambin... Auquel cas, mieux valait qu'il les oublie. Aussi, le suzerain coupa t-il court à cette probable discussion. « Je l'ignore. » Tirade qui fut accompagnée d'un croisement de bras et d'un haussement d'épaule, signe somatique qu'il était totalement hermétique à toute poursuite du sujet. Puis, il guigna la main du sylphe s'apposer sur son trapèze, et l'écouta avec une attention toute religieuse... Jusqu'à sentir un flot de répliques lui excorier la gorge, tant il le retint au fond de sa glotte. Il savait que les paroles de son héritier étaient brodées d'une bonne intention, d'un appui qu'il voulait lui apporter... Mais il fut incapable de privilégier cet aspect à cette intolérable candeur dont le jeune homme n'avait même pas conscience de faire preuve, et là était tout le problème.

« Il n'y a franchement pas de quoi être badin, Bearach. » Le sérieux ébauchait les traits du fier gaélique qui venait, à l'aide d'une seule phrase, de briser l'atmosphère intimiste qu'ils avaient peiné à instaurer. Le laird n'était malheureusement jamais loin du père, et le premier avait repris le dessus sur le deuxième. « Tu te fourvoies complètement, il n'est plus le temps où tu peux te permettre de te laisser aveugler par l'illusion de m'avoir toujours auprès de toi, tu m'entends ? » Du moins, pas dans le sens le plus littéral du terme, car même une fois l'arme passée à gauche, il demeurerait toujours auprès de son fils, dans son coeur, dans son esprit... Mais aphone et invisible. « Crois-tu seulement que je me sois un jour attendu à la mort de feu ton grand-père ? L'unique fois où enfant, j'ai osé lui tenir ces mêmes propos, il m'a traité d'imbécile, et il a eu raison... Quelques années plus tard, il fut rappelé à Dieu, fauché par une maladie que nous n'aurions jamais imaginé susceptible de l'emporter aussi promptement et sans le moindre égard. » Il avait toujours amèrement regretté la disparition de laird Mor, tout d'abord parce qu'il n'avait de ce fait jamais eu l'opportunité de lui ouvrir son coeur, ensuite, parce qu'il l'avait abandonné à assumer dune pléthore de responsabilités, alors qu'il était à l'époque si jeune. Quelque part, il enviait peut-être Bearach qui du haut de ses vingt trois ans, avait encore tout le concret d'un modèle dont s'inspirer. « Je refuse que tu évolues dans cette optique qu'il me reste de bien belles années à vivre, l'éventualité n'est pas à occire, mais tu dois à tout moment être paré à l'inéluctable. Dis-moi, que se passerait-il si demain, je ne m'éveillais point ? Si un jour, l'ennemi avait raison de moi, et que je ne revenais pas ? Il m'est plausible de partir ici et maintenant, comme dans une décennie, qui serions-nous donc pour nous diaprer d'un quelconque sens divinatoire ? C'est de l'ingénuité, je t'en prie mon fils, je t'en supplie, ne sois pas naïf. » Si son discours prenait des allures de patenôtre, son phonème n'en était pas moins distinct et péremptoire, il refusait que son héritier virevolte paisiblement parmi ses chimères infantiles, même l'espoir avait ses lisières. Subitement, il agricha la nuque du jeune homme d'une poigne ferme bien que point assez pour lui causer un quelconque mal. Il le contraignit à se rapprocher plus qu'il ne l'était, et surtout, à affronter ses prunelles d'azur céleste sans possibilité de s'y soustraire. Dans leurs regards ainsi unifiés en une même ligne directrice, naquit un fluide extrasensoriel, une aura d'une puissance qui fut telle que l'univers aux alentours sembla ne plus exister, telle une aparté à la réalité. Le contact était masculin, plus paternel qu'il n'y paraissait, à l'instar d'un lion venu agripper le cou de son lionceau. « C'est pour cela que tu ne dois pas veiller sur moi et te réorienter sur toi-même. Je sais ce que je fais et ce que j'ai à faire, je tombe déjà plus en poussière que tu ne peux le penser, mais toi... Toi, tu es l'Avenir, tu es l'Espoir, le calice auquel notre peuple viendra boire, le Futur des Lowlands. Ne crains jamais la contrée de tes aïeux, borde la, comme une sempiternelle pouponne, éduque la... Si je viens à périr au crépuscule, ne te laisse pas prendre au dépourvu, sois toujours aux aguets. Ne te cache pas dans mon ombre, surtout, car je ne suis qu'éphémère au même titre que tous. Tu es un adulte aujourd'hui, ne l'oublie pas, promets moi de te tenir prêt à toute contingence. Promets-le. »

Gabran n'avait pu réprimer cette soudaine pulsion discursive, car... Il avait eu peur. Peur en se trouvant face à une innocente légèreté de la part de son enfant, qui avait peut-être dit cela sans réellement le penser... Mais cette digression avait suffit pour mettre le suzerain dans tous ses états, qui ne voulait diantrement pas que Bearach emprunte le sentier qu'il avait lui-même été obligé d'emprunter, à seulement seize ans. Même s'il avait hérité des moeurs de son défunt paternel, même s'il avait toujours été entouré de conseillers, et de Darren... Il était, dans l'ensemble de sa superbe, un autodidacte, dont la route avait été semée d'embûches. Se sentir abandonné par son père, était-ce pire que de l'être par sa femme ? Il l'ignorait, mais dans les deux cas, il avait souffert, Diane avait été sa panacée... Elle n'aurait peut-être point aimé qu'il s'adresse à leur fils de la sorte, il l'avait quelque peu admonesté, mais ce n'était que pour son bien. Et dès lors qu'il lui fit la promesse escomptée, le laird empoigna les joues de l'éphèbe, ses pouces massèrent succinctement ses pommettes tandis qu'il plongea de toute son âme dans les yeux de la chair de sa chair. Il était tiraillé entre la douceur d'un père et la virilité d'un homme, il ne savait plus très bien où il se situait... Peut-être était-il temps de mettre un terme à tout cela, pour aujourd'hui tout du moins. Il le relâcha et se rehaussa instinctivement, dos droit, et regard biaisé en direction de la forteresse MacGuffin.

« Nous en reparlerons... Si tu en as envie. » Il ne l'obligerait guère à se confier si le jeune homme ne le désirait pas, il n'était jamais bon d'arracher des mots qui pouvaient être sciemment prononcés. Le seigneur lorgna la dernière demeure de sa défunte adorée, son rosaire ne l'avait pas quitté, et il sentit brusquement le besoin de le triturer. « Il me faut retourner auprès des chefs, ton oncle doit probablement m'attendre. Je compte me rendre à la chapelle, avant le souper, pour y déposer une prière. Puissé-je espérer ta présence ? »
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Bearach MacGuffin
Bearach MacGuffin


▷ MESSAGES : 532
▷ INSCRIPTION : 10/04/2013
▷ LOCALISATION : Château des MacGuffin
▷ ÂGE : 23 ans
▷ HUMEUR : Mélancolique
Fear cuts deeper
Than swords.

There's no shame in fear, my father told me, what matters is how we face it.
« Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] 995303tumblrmjygpsIBAm1rswapvo1250
So many vows. They make you swear and swear. Defend the King, obey the King, obey your father, protect the innocent, defend the weak. But what if your father despises the King? What if the King massacres the innocent? It's too much. No matter what you do, you're forsaking one vow or another.

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MessageSujet: Re: « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé]   « Le Corbeau critique la Noirceur. » ~ Bearach [Terminé] EmptySam 11 Mai - 16:31


❝ Le Corbeau critique la Noirceur ❞
© PEPPERLAND.

Je ne compris pas tout de suite que j'avais commis un impair. Mes paroles étaient teintées de bonnes intentions, et de la volonté d'honorer la promesse faite à ma défunte mère sur son lit de mort. Petit garçon, je m'étais souvent demandé pourquoi elle m'avait demander de veiller sur mon père. Car je n'étais qu'un enfant, qui voyait son paternel comme un héros et non comme un homme. Cependant j'avais réalisé, en grandissant, que mon père, s'il resterait à jamais mon modèle, n'était hélas qu'un homme fait comme les autres. Le temps ne l'épargnait pas, la vie non plus et comme tout individu il était soumis à ses sentiments. On n'était pas un dieu parce que l'on était un gouverneur. C'était lorsque je l'avais compris que j'avais su pourquoi on m'avait demandé de faire attention à lui. On dit que les parents doivent veiller sur leurs enfants, mais à mes yeux le contraire était tout aussi juste. N'était-ce pas la moindre des choses que d'aider ceux qui vous ont mis au monde ? Rien ne m'obligeait à veiller sur mon père, j'en avais tout simplement envie. Envie de lui prouver que je tenais à lui plus qu'à quiconque, envie de lui montrer que je savais à quel point je lui étais redevable. Envie de lui faire savoir que je l'aimais, tout simplement. Certes, l'homme était gouverneur des Lowlands, l'une des personnalités les plus importantes de notre pays. Mais à mes yeux, il était d'abord mon père. Le seul que j'avais jamais eu, le seul que j'aurais jamais. On ne remplaçait pas un père comme on pouvait remplacer un soldat, un général, ou même un ami. Nous n'étions pas aussi proches que je l'aurais voulu mais cela ne changeait rien. Je savais parfaitement que cela n'aurait pas plu à Père de l'entendre, mais je donnerais volontiers ma vie pour la sienne. J'étais un fils qui sacrifierait tout, absolument tout pour son père. Si je n'avais pas été aussi avide de sa reconnaissance, je ne ferais pas tous les efforts que je faisais pour lui plaire et le rendre fier de moi. J'avais honte de l'avouer, mais je me souciais plus de sa seule opinion que de celles de nos vassaux et centaines de sujets. Bien sûr, j'avais fait attention à chacun des mots employé aujourd'hui, ainsi qu'à mon attitude, aujourd'hui. Cependant j'ignorais si j'aurais été si rigoureux si Père n'avait pas été présent. Quelque part, cela m'effrayait. Car au fond de moi, je savais qu'il ne serait pas auprès de moi pour toujours, quand bien même c'était une pensée une douloureuse. Je le savais. C'était simplement que je choisissais de faire comme si je ne le savais pas. Ce qui était, en plus d'être terriblement naïf, dangereux. Père, lui, l'avait bien compris.

Je ne m'étais certes pas attendu à entendre tant de sérieux dans sa voix. Je retirai ma main de son épaule aussi sûrement que si il l'avait repoussée lui même. J'eus l'impression d'être redevenu un enfant que l'on gronde pour une bêtise sans importance. Hélas, ma bêtise à moi relevait plus du domaine psychologique que du domaine physique. Je n'avais pas cassé quelque chose que l'on m'avait interdit de toucher. Non, je repoussais l'inévitable, je mettais de côté la dure réalité de la vie... Je me berçais d'illusions. Je sentis le sang quitter mon visage en même temps que le mirage qu'était l'immortalité de mon père s'évanouissait. Bien sûr que c'était idiot. Cependant, comment aurais-je pu me persuader du contraire ? Comment aurais-je pu avancer, me construire, avec l'idée que mon père n'était qu'un être éphémère qui disparaitrait bientôt et me laisserait seul avec un poids de responsabilités que je n'avais pas les épaules pour porter ? J'avais dû grandir sans mère, je n'avais pas pu, pas su, me persuader que je deviendrais tout à fait orphelin un jour. De toute évidence je n'avais pas su me débarrasser de cette illusion en grandissant, ce qui était à ce jour mon plus grand tort. Quel idiot... En quelques mots j'étais certainement parvenu à faire oublier à Père pourquoi il était fier de moi. Mes mots n'étaient pas ceux d'un homme mais ceux d'un bambin. Quoi que je puisse en penser, il était fort possible que mon père me soit arraché brutalement au moment où je m'y attendais le moins. Je me doutais bien que lui-même ne s'était pas attendu à perdre le sien. Aucun enfant ne s'y attend jamais, car les parents sont toujours pour eux comme des héros. Hélas, les vrais héros n'avaient rien en commun avec les dieux des mythologies païennes. Les vrais mourraient, car ils n'étaient que des hommes. Considérer mon père comme tel n'avait jamais été évident et ne le serait sans doute jamais. Pourtant il était temps pour moi de cesser de le voir autrement. Il fallait absolument que je me mette en tête que malgré toutes ses qualités il était un être aussi mortel que les autres. Tous les hommes sont égaux face à la mort, son statut ne le sauverait point du trépas. Cela se saurait, si la mort favorisait les hommes justes ou parés de titres.

Je faillis reculer en voyant Père se rapprocher de moi, mais je semblais pétrifié, mes pieds paraissaient englués dans la neige comme ils l'auraient été dans de la poix. Je ne pouvais bouger, et ce alors même que l'envie de prendre mes jambes à mon cou était plus pressante que jamais. Incapable de me soustraire à la poigne de fer de mon père, je fis de mon mieux pour soutenir son regard, ne souhaitant pas passer pour un lâche incapable d'entendre une vérité qui fâche. Je ne serais guère capable de grandir si je n'écoutais pas ce que l'on avait à me dire. Le jugement de Père était le meilleur que j'aie jamais connu, il était donc nécessaire que je le prenne en compte, que cela me plaise ou non. Je mourrais d'envie de répondre à sa tirade, et toutefois je ne savais pas quoi dire. Les pensées se précipitaient dans mon esprit sans que je parvienne à les ordonner correctement. Si je savais à quel point mon père avait raison, il m'était difficile de ne pas protester. J'avais envie de lui hurler que je m'en moquais, que j'avais toujours terriblement besoin de lui. Je n'étais pas prêt à devoir me passer de lui, qu'importe ce qu'il pouvait en penser. Il avait toujours été mon seul repère, c'était lui qui faisait preuve de naïveté s'il s'imaginait le contraire. Cela je ne pouvais le lui dire, bien évidemment, car je me serais montré insultant et je ne le voulais pas. Il semblait placer tant d'espoirs en moi que j'en étais presque effrayé. Je ne me voyais ni comme l'avenir, ni comme l'espoir. L'aurait-il fallu ? Sans doute était-il temps d'avoir confiance en moi, de cesser de me voir comme un jeune homme gauche et perdu... Car après tout, n'avais-je pas fait preuve d'une grande maturité ce jour ci ? Une maturité à laquelle je n'étais pas habitué et qui m'avait fortement ébranlé. Une maturité à laquelle il fallait que je m'habitue, car Père me le demandait.

Voilà qu'à présent il me fallait faire une promesse. Pourrais-je promettre à Père que je serais toujours prêt à prendre la relève sans mentir ? Je l'ignorais alors même que les mots franchissaient la barrière de mes lèvres. « Je vous le promets. » Quand bien même mentirais-je sur l'instant, je n'aurais pu dire autre chose. Il me faudrait simplement faire en sorte de tenir cette promesse, quoi qu'il m'en coute. Pas seulement parce que Père le voulait, mais parce que l'avenir de notre maison en dépendait. Le jour où Père nous quitterait, je ne pourrais pas me permettre de me laisser aller à ma peine. Il me faudrait reprendre les rênes en main à la seconde où il rendrait son dernier souffle. Tous les regards seraient tournés vers moi. Ceux de notre famille, ceux de nos vassaux, ceux du peuple. Père n'était pas le seul homme que je me devais de satisfaire. Ils étaient des dizaines, des centaines. Un instant de doute et il en était fini de moi et des miens. Un faux pas et je donnerais raison à cette sorcière de Sorcha... Déjouer ses plans constituait en soi une excellente motivation. Elle ne me jugeait pas digne de reprendre le titre de Père, je devais lui prouver qu'elle avait tort. Et cesser de croire qu'il me restait encore de longues années avant d'en arriver là. Je devais abandonner mes chimères au plus vite, avant qu'il ne soit trop tard. En somme, je devais tout simplement grandir. Cela signifiait également faire le deuil de ma défunte mère une bonne fois pour toutes. Si mes larmes et ma colère avaient eu le pouvoir de la ramener, cela aurait déjà été fait longtemps auparavant. Il fallait que je la laisse partir, tout comme les souvenirs de cette journée où elle était morte, pour ne me rappeler que des bons moments. Si je n'avais pu profiter de sa présence que pendant cinq années, ces années là avaient été joyeuses et les gâcher avec sa disparition était idiot. Elle n'aurait probablement pas voulu que je m'apitoie sur mon sort et pleure sur sa sépulture aussi souvent. Car cela me raccrochait à un passé dont je n'avais guère besoin. Je ne pouvais continuer à faire un pas en arrière pour deux pas en avant. Que l'avenir m'effraie ou non, je devais cesser de regarder en arrière. Mon passé resterait à jamais mon passé, mais mon futur serait ce que je décidais d'en faire à partir du moment présent. Je devais sortir la tête hors de l'eau au lieu d'essayer de respirer dessous. Et me faire violence pour ne pas replonger à la moindre contrariété.

Ce ne fut qu'une fois que Père me lâcha que je me réalisai que j'avais retenu ma respiration. Doucement j'inspirai, j'expirai, pour reprendre mes esprits après cette avalanche de sentiments qui m'avait pris au dépourvu. Un frisson me traversa et je réalisai que j'avais froid, après tout. À l'instar de mon paternel, mes yeux se portèrent une dernière fois sur la tombe de la défunte épouse et mère que nous avions tous deux admirée. Je faillis grimacer lorsque la chapelle du domaine fut évoquée, je n'avais guère envie de m'y rendre, mon aversion pour Dieu étant la seule chose que je ne pouvais et ne voulais combattre. Une seconde, j'hésitai. Puis je finis par acquiescer silencieusement, un léger sourire accroché aux lèvres. Que Père ait envie de prier pour sa première épouse, pour l'homme exécuté de ma main ou pour la prospérité du royaume, s'il me demandait à ses côtés, j'y serais. Car tant qu'il vivait, je profiterai de sa présence et de sa sagesse autant que je le pouvais.


~ Fin du RP ~
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