Au sein de l’imposante citadelle du clan MacGuffin, le conseil venait de s’achever. La nouvelle alliance était désormais on ne peut plus officielle. Les Lowlands et les Northern Highlands lutteraient ensemble contre les Western et Eastern Highlands. L’incident survenu au château Dun’Broch avec l’ours Mor’Du avait perturbé la fragile trêve proposer par la reine Merida. Fillan Forbes lui-même, pourtant actif partisan de la paix, avait découvert amèrement que la paix ne serait pas obtenue avec un simple banquet. Le retour des triplés aurait signer une nouvelle ère. Or l’hiver venait et la guerre reprenait de plus belle. Par chance la saison de la guerre touchait à sa fin et la neige plongerait l’Ecosse dans le calme et l’immobilité. Mais dans leur domaine les seigneurs de la guerre planifieront leur vengeance et lorsque le printemps arrivera les affrontements seront sanglants.
Les clans des Lowlands et des Northern Highlands étaient invités au banquet pour fêter la nouvelle alliance et passeraient la nuit dans la citadelle avant de regagner leurs terres. Fillan Forbes profita d’un moment de liberté pour se dégourdir les jambes. Sans but précis il arpenta les couloirs et les corridors, admirant l’architecture du bâtiment. Il tentait de se remémorer avec davantage de précision ce qu’il avait pu lire dans ses livres et ses parchemins. Son attention se porta ensuite vers les jardins qu’il admira pendant plusieurs instants sans un mot. Un son pourtant le détourna de son observation. Une jeune fille se tenait à quelques pas de lui. Sa chevelure bouclée et rousse encadrait son visage enfantin. On ne pouvait que lui reconnaître une grande beauté. Son regard possédait un étrange pouvoir qui fit chavirer le cœur du jeune homme.

« My lady.» dit-il en s’inclinant. « J’espère ne pas avoir abuser de mon statut d’hôte en m’aventurant ainsi dans le château. Peut-être suis-je allé au-delà des espaces autorisés à mon humble personne.»

Il craignait en effet d’avoir pénétrer sans le vouloir dans une partie réservée au laird, à sa famille ou bien aux femmes de la maisonnée. Si tel était le cas il serait extrêmement gêné.

Qui aurait pu penser que cette invitation au banquet allait déboucher sur des alliances aussi incongrues qu'inespérées ? La politique n'était pas affaire de jeunes filles et pourtant, Rhona avait guetté avidement chaque information qu'elle pouvait récolté à ce sujet, faisant ses propres pronostics quand à la suite des événements. Si elle ne désirait pas satisfaire sa mère en se mêlant de ses petites manigances, elle n'en était pas moins suffisamment intelligente pour comprendre ce que tout cela pouvait bien dire... Pouvait bien signifier et quelles seraient les conséquences. Résultats, l'intervention de Mor'Du avait provoqué de nouvelles alliances... Il y avait les Dingwall et les Macintosh qui hurlaient au complot et il y avait les MacGuffin qui pensaient que cet incident était indépendant de la volonté de la reine... Son père s'était donc rallié à la cause de Merida. Pour quelles raisons ? Pour mieux se rapprocher de son ennemie et récupérer le trône tant convoité ? Rhona ne voyait pas son père capable de félonie, mais elle avait tendance à l'idéaliser, comme elle avait tendance à diaboliser sa mère. Sa mère qu'elle fuyait le plus possible, passant le moins de temps avec elle, afin de ne pas supporter son regard méprisant, ses piques assassines... La jeune fille avait peur de sa mère tout simplement.

Et cette fois encore, elle fuit une confrontation avec sa génitrice qui parlait de ces membres de clans présents pour cette alliance. Il y avait là des gens du Nord, au sein même de la forteresse MacGuffin, un événement qui aurait paru totalement incongru quelques semaines plus tôt. Sa mère bavassait avec Eileen et quelques dames d'atour concernant les hommes présents, cherchant qui pourrait faire un bon parti pour Eileen et Rhona... Naturellement, les meilleurs étaient pour Eileen, la belle, la brillante, la soumise Eileen, alors que Sorcha se demandait qui voudrait de sa cadette, si quelconque comparée à son aînée.

Encore rabaissée. Encore humiliée. Rhona endossait tout en se concentrant sur sa tapisserie, avant que cela ne soit trop et qu'elle ne se lève brutalement, laissant le métier à tisser en plan et faisant volte face, alors que sa mère lui ordonnait de revenir, avant d'esquisser un sourire mauvais devant la fuite de son ingrate de fille, de cette traîtresse qui préférait la compagnie de son père et de son beau-frère plutôt que celle de sa mère et de sa sœur. Pourtant, la jeune fille de 15 ans ne pouvait renier sa filiation... Aussi rousse que sa mère et sa sœur... parfois, elle se plantait devant le miroir et rêvait qu'ils soient bruns, comme ceux de son père et de son frère, autrement plus honorables...

Mais c'était là une utopie. Encore blessée, la demoiselle marchait rapidement dans les couloirs avant de s'arrêter devant une fenêtre et d'essuyer rageusement une larme tout en observant le jardin. Ne pas pleurer, ne pas montrer combien sa mère pouvait la blesser, combien son rejet lui faisait mal... Continuer de sourire et de faire semblant. Voilà, c'était mieux ainsi... Elle prit une ample inspiration, avant de s’apercevoir qu'elle n'était pas seule. Elle rougit, comme prise en faute, avant de se reprendre et d'observer l'étranger, sans doute un des hommes des clans du Nord venu aujourd'hui. Elle connaissait plutôt bien les vassaux de son père, elle connaissait les couleurs, les devises, les visages...

Et celui-ci, lui était inconnu. Le jeune homme était plus âgé qu'elle, mais non dénué de charme. Rhona devenait une femme... Elle savait que ses parents réfléchissaient à son mariage, preuve qu'elle était une femme s'il en fallait, malgré son visage encore enfantin. Et elle n'était pas insensible à la beauté des guerriers.

Il fut le premier à rompre le silence en s'inclinant et la saluant, s'excusant de se trouver là en espérant ne pas s'être aventuré dans des ailes privées. Rhona se ressaisit, bien que toujours intimidée par l'inconnu, comme elle l'était toujours avec ceux qu'elle ne connaissait pas. Sa mère lui reprochait sa timidité d'ailleurs, qui passait, selon elle, pour une preuve de faiblesse d'esprit, alors qu'elle se devait d'être avenante. Mais la discrète Rhona ne pouvait se faire violence et changer radicalement sa nature. Pourtant, une fois en confiance et la glace brisée, elle se révélait d'une charmante compagnie.

« Je crains en effet, que vous ne vous soyez égaré dans une aile qui n’accueille guère les hommes. »

Si son attitude demeurait réservée, son regard lui était bien vivant et pétillant de malice. Elle avait de grands yeux bleus, hérités de son père et dont elle était fière. Si ses cheveux étaient roux, aucune tâche de rousseur ne venait altérer la porcelaine de sa peau de lady.

« Mais je peux aisément vous remettre dans le droit chemin messire... ? »

Elle ne le connaissait pas. Pas plus qu'il ne savait qui elle était. Même si ses vêtements indiquaient clairement qu'elle n'était pas une servante.

La gêne se lisait sur le visage de Fillan. Il s’était effectivement aventuré trop loin. Et qui plus ait dans une partie réservée aux femmes. Fichtre ! Si quelqu’un venait à l’apprendre… Il osa de nouveau croiser les yeux de la jeune fille. Son regard malicieux le rassura et il lui sourit.

« Voilà qui est bien fâcheux. Je suis d’autant plus heureux de vous rencontré, vous m’évitez une situation des plus embarrassantes. C’est avec un grand soulagement que j’accepte votre proposition milady. »

D’un geste élégant il s’écarta, l’invitant à lui montre le chemin. La mise de la demoiselle indiquait qu’elle appartenait à un milieu aisé. Sa remarquable chevelure rousse lui rappelait celle de lady MacGuffin, sans compter ses traits, et il se doutait qu’un lien devait unir les deux femmes. Peut-être s’agissait-il d’une de ses filles, dont il ignorait hélas le nom. A moins qu’elle ne soit une autre parente.

« Je manque en effet à tout mes devoirs milady. Mon nom est Fillan Forbes et je viens des Northern Highlands. Si je puis me permettre, je souhaiterais également connaître le nom de ma bienfaitrice. »

La curiosité déliait sa langue. Certes Fillan était connu pour être une personne des plus affables mais il demeurait discret. Tout en marchant aux côtés de la jeune fille, il observait à la dérobée l’harmonie de ses traits, sa silhouette de sylphide, les boucles de ses cheveux. Assurément elle était très belle. Gracieuse également. Une beauté rare qui devait faire tourner la tête de beaucoup d’hommes. Si le jeune homme continuait à la contempler de la sorte il rejoindrait rapidement ses soupirants. Quelque chose en elle lui plaisait. Certains appelaient cela l’aura. Si Fillan devait décrire l’aura de la jeune fille, il utiliserait le mot douceur. Semblable à une fleur tout juste éclose, embaumant l’air de son parfum, dévoilant timidement ses pétales décorés de rosée. Il sourit intérieurement, surpris par la poésie qui se formait dans son esprit.

Le malaise de l'homme effaçait celui de la rousse demoiselle. Rhona était dans son château, dans un univers familier et même si elle se retrouvait seule avec un inconnu, c'était elle la maîtresse des lieux. Et puis, il semblait bien désolé de s'être égaré dans cette aile réservée à la gente féminine. A sa décharge, la forteresse était grande, les couloirs sinueux, il était facile de se perdre, même si la jeune fille se demandait ce qu'il faisait ici, seul. Pas d'escorte, pas de gardes, ou de compagnons ? Il s'avoua soulagé d'avoir croisé la route de la jeune MacGuffin, qui lui avait proposé de se faire son guide. Cela ne plairait peut-être pas à son père ou à sa mère de la voir seule avec un homme, mais il n'y avait là nulle malice, nulle duplicité, juste un service rendu.

Il s'écarta alors et elle se dirigea vers lui, le dépassant, non sans lui demander qui il était. Perturbé, il en avait oublié de se présenter, oubli qu'il ne tarda pas à rattraper. Fillian Forbes... La rouquine fouilla dans sa mémoire... Non, ce n'était définitivement pas une famille des Lowlands. Un homme du Nord donc, venu ici au vu de la nouvelle alliance entre les MacGuffin et les DunBroch. Quel étrange revirement de situation...

Alors qu'elle songeait à cela, elle se rendit compte qu'il lui avait demandé de se présenter à son tour. Elle rougit aussitôt, joliment, avant de faire une petite révérence parfaitement exécutée.

« Rhona MacGuffin. Cadette de Gabran et Sorcha MacGuffin, Monseigneur. »

Elle passa devant lui et se mit en route, le guidant à travers le château. Elle sentait le regard curieux du jeune homme et s'efforçait de ne pas y faire attention, même si elle se demandait ce qu'il concluait de cet examen silencieux. Elle se savait moins jolie qu'Eileen, sa mère le lui avait suffisamment répété pour qu'elle le croit dur comme fer, même si son frère et son père ne cessaient de lui répéter qu'elle était belle comme une rose à peine éclose, aussi délicate, mais également pleine de vie et solaire. C'était cette aura qui la rendait belle et fascinante, un charme dont la petite demoiselle n'avait pas conscience... Eut-ce été le cas, qu'elle aurait pu faire des ravages, en suivant le modèle de sa mère, qui n'avait plus rien d'une novice en matière de séduction.

Elle se demandait également s'il avait eu l'occasion de rencontrer Eileen. S'il l'avait trouvé jolie et à son goût. Avant, il n'était pas question de mariage entre les Lowlands et le Nord, mais les choses avaient changé et Sorcha devait déjà placer ses pions sur son échiquier. Comme Gabran d'ailleurs, qui était aussi fin politicien que redoutable stratège et terrible guerrier. Avait-il observé ces hommes du Nord en se demandant lequel il allait marier à l'une de ses filles ? Fillian avait-il rencontré Bearach ? Finalement, la demoiselle décida de rompre le silence qui s'était installé, afin de se montrer une hôtesse à la hauteur de son nom.

« Qui eut cru il y a quelques semaines, que tant d'hommes du Nord fouleraient les dalles du domaine des MacGuffin... Vous étiez au banquet ? »

Avait-il subi l'attaque du terrifiant Mor'Du ? Représentait-il son clan ? Etait-il un chevalier ou un héritier ? Elle ne savait rien du Nord, ne s'y étant même jamais rendu. Sa curiosité, sa soif d'apprendre devenaient plus fortes que sa timidité. Si elle indisposait cet homme, il saurait bien le lui faire comprendre, en attendant, elle profitait de l’occasion.

« Lady Rhona je suis votre obligé. » déclara-t-il en s’inclinant. La jeune MacGuffin l’avait en effet sauvé d’un grand embarras. Il lui serait éternellement reconnaissant. Si jamais il avait rencontré un homme du laird MacGuffin le dénouement aurait été tout autre. Fillan Forbes pestait intérieurement contre sa bêtise. A cause de son étourderie il aurait pu compromettre son clan et l’alliance qui venait à peine de se former. Que penseraient les hommes des Lowlands en apprenant qu’un homme du nord se promenait dans les appartements des femmes ?

Il ne valait peut-être mieux ne pas y songer tout en espérant que lady Rhona n’irait pas en parler à son père. Ce sera fâcheux. Pourtant il ne pouvait se permettre de lui demander. Ce serait émettre un doute sur la loyauté de la jeune fille, il la mettrait mal à l’aise, la forçant à faire un choix et il ne pouvait l’envisager. Il devait s’estimer heureux de l’avoir croisé elle et pas un autre. « Du calme » s’ordonna-t-il. Chassant ses soucis, il se concentra sur la jeune fille qui avançait devant lui. Il aurait eu tort de s’en détourner. N’était-elle pas radieuse ? De toute sa vie Fillan n’avait jamais ressentit une telle attraction. Il était littéralement ébloui et subjugué. Dans ses ouvrages il avait lu des histoires d’amour, les sentiments amoureux qui naissaient au premier regard, des descriptions émouvantes des émois amoureux entre un chevalier et une dame. Mais cela ne pouvait être qu’une histoire ou alors une exception. Une exquise exception dans un monde violence, une parenthèse enchantée au cœur d’une guerre, un pur instant de calme dans une tempête. Pouvait-il seulement songer qu’une chance aussi belle s’offre à lui, pauvre pêcheur ? Et pourquoi pas ? Il était cadet et le voilà désormais devenu héritier. Son destin avait changé. Les voies du Seigneur son impénétrables. L’amour lui tendait peut-être les bras ?

« Qui pouvait y croire en effet ? Mais je suis heureux de me trouver dans ce palais aujourd’hui et traverser les couloirs en votre compagnie. » Il marqua un temps d’arrêt lorsque lady Rhona évoqua le banquet. Triste et amer souvenir.

« J’y étais en effet. Il me semble que votre père et votre sœur s’y trouvaient également. »

Il n’osait lui demander si elle était présente. Par tous les saints cela aurait été si cruelle de lui imposer un pareil spectacle. Il n’osait même pas penser à la peur que la venue de l’ours avait pu provoquer sur les pauvres enfants participants à la fête.

« Ce fut un évènement terrifiant milady. Chaque invité conserve des séquelles, visibles ou invisibles.»

Pour sa part il possédait une cicatrice qui lui longeait son épaule et il avait dû garder son bras en écharpe pendant plusieurs jours. Il conservait également le goût amer de la défaite. La paix leur avait échappé.

Un sourire enfantin éclaira le visage de la rousse jeune fille quand le guerrier se déclara son obligé. On aurait dit qu'elle avait accompli là une grande prouesse, alors qu'elle ne faisait que guider un égaré à travers la forteresse tortueuse des MacGuffin. Certes, elle le sauvait de l'embarras d'être découvert dans l'aile des femmes alors qu'il n'avait rien à y faire, mais cela n'aurait pas déclenché une guerre quand même... Juste un grand moment de solitude pour Fillian si c'était une autre qu'elle même qui l'avait découvert là.

« Que nenni, je ne pouvais laisser un guerrier égaré errer dans la forteresse sans lui porter secours. »

Elle avait dit cela d'un ton de plaisanterie, agréable, lui signifiant qu'elle ne voyait aucun mal dans cette intrusion. Tout comme elle n'irait sûrement pas ébruiter l'affaire. Quel intérêt après tout ? Cela serait leur petit secret et voilà tout. La jeune femme le guida alors à travers les couloirs, avant de rompre le silence, d'abord par des banalités concernant les nouvelles alliances qui avaient découlé du banquet chez la reine. Tous les chefs de clans, tous les guerriers, avaient sans doute espéré quelque chose de ce banquet, de cet événement : la paix, la guerre... Qu'importe. Certains avaient craint un piège... Et ceux-là avaient vu en l'intervention de Mor'Du un traquenard, alors que la reine avait été aussi surprise que ses invités de l'arrivée de l'ours maudit. Qui ne connaissait pas la légende de cet homme qui avait voulu avoir toute la puissance et avait été transformé en ours ? Comment ne pas croire en la magie et au destin dans ces conditions ? Pourtant, les guerriers émettaient encore des doutes parfois. Les adultes n'y croyaient plus.

Ce n'était pas le cas de Rhona.

La réponse de Fillian lui fit légèrement baisser la tête et rosir sous le compliment. Il était ravi d'être ici et en sa compagnie. Cela faisait toujours son petit effet sur une jeune femme, surtout quand cette demoiselle ne croyait absolument pas en ses charmes, ne pensait pas pouvoir plaire à un homme, comme sa mère ou sa sœur pouvaient le faire.

Mais très vite, Rhona passa à un sujet bien plus sombre et moins badin : le banquet. Y était-il présent ? C'était probable, tous y avaient été conviés et en famille qui plus est. Gabran avait lui-même emmené femme et enfants, même sa petite dernière qu'il chérissait tant. Et il n'avait pu lui épargner le spectacle atroce des blessés. Si Rhona en avait été choquée et affligée, elle n'était pas aussi fragile que tous le pensaient. Elle s'était remise de cet événement, fort heureusement. Mais elle n'avait pas non plus été blessée et n'avait pas été au cœur de l'action. Il lui répondit qu'effectivement, il était présent, comme l'étaient Gabran et Eileen. Elle eut un petit sourire triste.

« C'est exact Monseigneur. Comme ma mère et moi, mais nous avons été davantage épargnées. »

Il ajouta que c'était un événement terrifiant, qui avait laissé des séquelles chez chaque invité. Elle ne put que hocher la tête, le regard un peu lointain, avant de s'entourer de ses bras pour réprimer un frisson au souvenir de la bête terrifiante et des blessures des hommes et des femmes qui avaient été présents, des blessures plus ou moins graves. Pour une petite princesse toujours tenue éloignée de la réalité, cela avait été violent, mais elle n'avait pas tourné de l’œil, elle n'avait pas été hystérique, ni totalement paniquée, et elle était fière de ne pas avoir réagi comme une petite fille terrifiée. Elle était une lady après tout et elle devait être digne du sang de son père, de ces valeureux guerriers des Lowlands.

« Avez-vous été blessé ? »

La légèreté semblait de mise. Lady Rhona ne paraissait guère outrée par l’errance de Fillan. Le jeune homme était rassuré désormais. Son esprit pouvait laisser de côté la peur d’offenser le seigneur MacGuffin et se consacrer à la compagnie de la charmante demoiselle. Un homme sage s’était un jour interrogé, demandant combien d’hommes auraient songé à tomber amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour. Si Fillan n’avait jamais lu des récits amoureux, s’il n’avait jamais entendu parler des amours de Tristan et Iseult, aurait-il aujourd’hui le même désir de connaître à son tour l’amour ? Son pauvre cœur ne demandait qu’à trembler, à soupirer et aimer follement. Malgré les déboires que subissait son clan depuis plusieurs années, il espérait. La chance pouvait peut-être se pencher sur son cas, la fortune pouvait peut-être lui accorder un regard, le Seigneur pouvait peut-être songer à lui accorder un peu de répit.

« Je m’étonne de ne pas vous avoir remarqué. Votre grâce aurait dû m’éblouir comme elle le fait en cet instant.»

Optimiste depuis ses premiers jours, il ne pouvait se résoudre à gâcher ce moment pour se plaindre. Il souhaitait que sa conversation avec Rhona soit agréable. La demoiselle devait conserver un souvenir charmant de leur rencontre. Il n’y aurait sans doute aucune autre occasion de discuter seuls. Dès le lendemain Fillan repartirait dans le nord et il ne reverrait sans doute jamais la douce Rhona. A son grand regret. Il surpris lady Rhona à frissonner et il réfréna un élan pour la couvrir de son manteau. Le souvenir du banquet devait encore tourmenté la douce lady.

« Je suis heureux de l’entendre. Pour ma part l’ours ne m’a pas ignoré. J’en conserve une cicatrice mais la jeune fille qui s’est occupé de moi alors que nous avions trouvé refuge dans les cuisines m’a laisser croire que ce genre de blessure ne laissait pas les jeunes filles indifférentes. Si le Seigneur me l’accorde je demanderais son avis à la femme qui deviendra mon épouse. Avez-vous une idée sur la question, milady ? »

Son ton était léger, il riait presque. Il n’avait pas l’habitude de parler en tête à tête avec une jeune lady, encore moins courtiser une femme. Hélas aucun ouvrage à sa connaissance n’assurait de leçons sur l’art de séduire une dame. Il s’empressa donc d’ajouter :

« Pardonnez moi milady, je ne voulais pas vous offenser. Ma demande vous paraît sans doute déplacer, je m’en excuse. Votre gentillesse à mon égard m’a fait oublier un bref instant ma place.»

Après tout il n’était que l’héritier d’un modeste clan. Rhona était une lady, la fille du laird MacGuffin, clan suzerain des Lowlands. S’il possédait le privilège de converser avec lady Rhona c’était uniquement parce qu’elle lui avait accordé. Il ne devait pas l’oublier.

La jeune fille baissa un instant le regard, alors que ses joues rosissaient sous le compliment du chevalier... Sa grâce aurait du l'éblouir comme elle le faisait en cet instant ? Il était donc vraiment ébloui par sa beauté ou bien n'était-ce là qu'un compliment vide de sens, qu'il sortait à toutes les lady qu'il croisait afin d'être poli ? Rhona ne croyait guère en ses charmes, malgré ce que pouvaient lui dire son frère et ou son père. Il demeurait le dédain de Sorcha, le mépris d'Eileen. Eileen, l'aînée, la si parfaite, la si douce, la si docile... Gracieuse, belle, diaphane... Tout ce que Rhona avait la sensation de ne pas être. Que répondre à un pareil compliment ? Elle n'était pas encore habituée à être courtisée, mais cela ne tarderait plus, bientôt, il y aurait des prétendants pour la main de la jeune MaGuffin. Dans le doute la jeune fille se mordilla la lèvre.

« Vos paroles sont de velours Messire Forbes. »

Et agréables à entendre de surcroît, surtout de la part d'un si charmant jeune homme. Mais la suite était moins gaie et c'était entièrement de la faute de la jeune fille qui ne put 'empêcher de parler du banquet et de ses conséquences. Elle y était, même si, fort heureusement, elle n'avait pas été blessée, mais choquée, oui, sans aucun doute. Qui aurait pu se douter de ce qui allait arriver alors que la reine invitait tous les clans en sa demeure ? L'intrusion de Mor'Du était une surprise. Comment penser que Merida aurait seulement plus s'en servir pour tendre un piège ? Il fallait être réaliste... Ce n'était finalement qu'une excuse bien commode pour les Dingwall et mes MacGuffin de rompre la trêve afin de pouvoir enfin lancer la guerre.

Fillian sortit la jeune fille de ses pensées en lui répondant que lui, n'avait pas été épargné par l'ours qui avait laissé sa marque sur son corps, à divers endroits, mais qu'une jeune fille qui s'était occupée de lui lui avait laissé entendre que cela avait son petit effet sur les jeunes fille et qu'il ne manquerait pas de demander son avis à son épouse, avant de demander ce qu'en pensait Rhona. Elle resta muette devant cette question. C'était un flirt, du badinage, mais elle n'y était tellement pas habituée, que son cerveau d'ordinaire si brillant et si prompt à réagir était totalement ankylosé. Et avant qu'elle ne réponde, il s'empressa de lui demander pardon, craignant sans doute de l'avoir offensé.

« Je vous en prie, ce n'est rien, simplement... Je n'ai guère l'habitude de ce genre de discussion messire. »

Elle lui offrit un ravissant sourire pour le rassurer.

« Je pense que les cicatrices sont le reflet de la valeur d'un homme... Autant de preuves de son courage et de sa vaillance. Comment ne pas y être sensible ? »

Elle était sincère. Elle admirait les guerriers. Son père et son frère en étaient un parfait exemple, mais elle aimait aussi les hommes cultivés et ayant de la conversation. Il fallait un subtile mélange des deux pour lui plaire, son père le savait et elle escomptait bien qu'il en tiendrait compte quand il lui choisirait un époux.

Un rayon de soleil perça à travers les fenêtres. Rectiligne et lumineux comme le tranchant d’une épée, il se dirigea dans la chevelure de la jeune fille. Tel un feu de joie, ses cheveux s’embrasèrent, changeant le roux en flamme ardente. Fillan aurait pu passer le reste de son existence à admirer ces flammes. Il resterait ébloui par la beauté et la douceur de Rhona. Plus qu’une lady elle avait l’apparence d’une fée, un esprit de la nature. Il s’imagina alors l’histoire d’un seigneur ayant capturé une créature de la forêt pour l’admirer à son aise dans son palais de pierres. Le jeune homme se promit de l’écrire à son retour et si le Seigneur lui accordait la chance d’avoir des enfants, il leur chanterait le conte de cette petite fée des flammes.

La charmante voix de lady Rhona le ramena dans la monde réel. Tout en se mordillant la lèvres elle lui avoua que ses paroles étaient de velours.

« Si mes paroles sont de velours alors les vôtres sont faîtes dans un tissu encore plus doux encore. Peut-être un de ces textiles que l’on tisse en Orient et dont on vante la beauté.»

Il ne pouvait s’empêcher de vanter sa beauté. Il existait des choses que l’on devait dire. Quelque chose dans l’attitude de la jeune fille lui laissait croire qu’elle était rarement complimentée. Fillan se souvint que ses hommes parlaient avec admiration de l’aînée MacGuffin, Eileen, dont la beauté était aussi grande que celle de sa mère. Jamais il n’avait entendu un homme louer les charmes de la cadette. La beauté de Rhona était pourtant flagrante mais il existait dans le monde des femmes aux charmes ravageurs si bien qu’elles éclipsaient toutes les autres.

« Mon seul désir est de vous être agréable lady Rhona. En aucune façon je ne vous offenser, vous ennuyer ou vous mettre dans l’embarra. Comme je vous l’ai dit je suis votre obligé. »

Il s’inclina avec respect pour appuyer ses propos. Il ne reverrait peut-être jamais Rhona et il ne voulait pas lui laisser un souvenir désagréable.

« Si valeur d’un homme se mesure à ses cicatrices alors je suis peut-être en chemin pour devenir un vaillant chevalier. Vous qui êtes une femme d’esprit, à quoi se mesure la valeur d’une dame dans ce cas ?»

Fillan songea à ses frères. Fergus était certainement le plus valeureux de tous. Il se demandait combien de cicatrices pouvait avoir son défunt frère. Les marques des combats étaient-elles vraiment une preuve de valeur ? Les plus forts pouvaient avoir le privilèges de seulement infliger des blessures à leurs ennemies sans jamais être toucher. Mais qui pouvait croire de jamais être blesser au combat ? Même Fergus avait fini par mourir, lui, le meilleur combattant du clan Forbes. Devant son incompréhension, sa peine et sa douleur le prêtre avait répondu « les voies du Seigneur sont impénétrables mon garçon » et il avait sans aucun doute raison.

Un éclat de rire cristallin s'échappa des lèvres de la jeune fille alors que le Seigneur Forbes reprenait ses compliments. C'était vraiment très agréable. Les entendre de la part de son frère ou de son père n'était pas la même chose que d'en recevoir de la part d'un jeune homme séduisant et inconnu.. ; Quel intérêt aurait-il eu à la flatter ? Il n'avait pas à la réconforter contrairement à Gabran ou Bearach qui voyaient leur petite fée douter de ses charmes face à la beauté éclatante de Sorcha et d'Eileen. Bien sûr, n'importe quel Seigneur ou chevalier se devait de se montrer agréable avec une jeune Lady, surtout issue de la si prestigieuse famille des MacGuffin.. Mais n'était-ce là que le fruit d'une bonne éducation sans qu'il n'en pense à traître mot ? Rhona était encore novice dans le jeu de séduction, ou même dans celui qui régissait la Cour ; elle sentait la sincérité vibrer dans la voix du chevalier, ou même se refléter dans son regard ou son sourire. Une jolie couleur carmine se dessinait sur les joues pâles de la demoiselle.

Il ajouta alors que son seul désir était de lui être agréable. Pourtant, par son avalanche de compliments, il la mettait dans l'embarras. Parce qu'elle ne savait pas réellement gérer ce genre de situation. Parce qu'elle était plus habituée à être une petite souris dans l'assistance alors que sa mère et sa sœur attiraient les regards. Elle n'était pas tout à fait conforme à ce que sa mère attendait-elle. Il lui arrivait de retrousser ses jupes pour courir dans les couloirs, de prendre son cheval pour aller chasser, de tremper les pieds dans le ruisseau pour aller à la chasse aux feux follets... Mais avec l'âge, ce genre de fantaisie lui était de moins en moins permise. Elle savait quel rang elle devait tenir et elle n'était plus une petite fille, même si son père et son frère avaient des difficultés à le voir. Elle ne pouvait plus se comporter comme telle en espérant de la clémence face à ses frasques.

« Je dois vous avouer ne m'être que très rarement retrouvée seule avec un homme qui ne soit pas de ma famille. Un inconnu qui plus est. »

Elle pencha un peu la tête et se tapota la lèvre inférieure de l'index, avant de sourire, malicieuse :

« Non en réalité, c'est la première fois. Il me semble avoir entendu dire que ce n'était pas hum... convenable. Avez-vous une opinion à ce sujet ? »

Rhona était plus à l'aise sur le terrain de la rhétorique et de l'amusement finalement. Plus enfant, pas tout à fait femme. Mais leur invité semblait enclin à entrer dans le jeu. Il n'était pas froid ou guindé. Et cela était plaisant. Parler du banquet où Mor'Du avait fait son apparition l'était beaucoup moins, mais elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle. Elle apprit que le chevalier avait été blessé, portant ainsi quelques cicatrices de plus. Elle ajouta que cela prouvait la valeur d'un homme, sa bravoure à combattre. Il répondit qu'il était en passe de devenir un vaillant chevalier dans ce cas et elle acquiesça.

« Combattre et rester vivant... être courageux et ne pas périr. Oui, cela ne fait que prouver la vaillance d'un chevalier. Et périr l'épée à la main est sans doute un honneur pour tout homme qui se bat pour ce en quoi il croit n'est-ce pas ? »

Il lui demanda alors à quoi pouvait se mesurer la valeur d'une Dame dans ce cas.

« Sincèrement ? Je n'en ai aucune idée... Je pense ne pas avoir le même avis que ma mère à ce sujet... A sa beauté ? A son excellence dans les arts ? A sa façon de soutenir son époux, d'élever ses enfants pour en faire de fiers guerriers ou de gracieuses demoiselles ? Voilà une question à laquelle je n'ai pas encore trouvé de réponses... Mais je ne désespère pas. »

Le rire de lady Rhona s’envola de sa gorge pour parcourir les couloirs. Il s’envola pareil à un oiseau dont le battement d’ailes produit un son léger. Charmant. Les joues de la jeune fille se teintèrent de rouge. Tout aussi charmant. Finalement Fillan ne devait pas être aussi incapable qu’il le pensait. Il était capable de trouver les mots justes et prononcer de douces paroles. Et si lady Rhona souriait et riait c’était que son souhait de lui être agréable avait été exaucé. Pour son plus grand bonheur. Le monde féminin lui semblait plus proche que le monde masculin. Comme tout enfant il avait été élevé par des femmes, sa mère bien entendu mais également la nourrice et toutes les caméristes. Il aimait cet environnement plein de bavardages, de rires, de badinages et de tendresse. Il y avait toujours une femme pour lui caresser la joue ou passer une main dans ses cheveux. Elles ne refusaient jamais de l’écouter chanter et applaudissaient avec ferveur. Curieux, le petite Fillan aimait les observer broder et tisser les tartans du clan. Comme il aurait aimé ne jamais quitter ce monde. Mais on l’avait arraché à cette tendresse pour affronter le monde des hommes. Il devait se battre, être fort, être musclé, ne jamais pleurer, ne jamais se plaindre. La lecture, l’écriture, la réflexion, laisses donc cela aux mestres veux-tu ? Fillan aurait été une meilleure fille. S’il avait été une femme, il ferait la fierté de son père. Mais il était un homme et il lui faisait honte.

« Vous n’essayez tout de même pas de me dire que jamais avant moi vous n’avez bavardé avec un homme ? Une lady aussi charmante que vous ? »

Que dirait le seigneur son père s’il l’apprenait ?

« Trouvez-vous que notre conversation ne soit pas convenable lady Rhona ? Je ne vois pour ma part qu’un échange poli entre une dame et un chevalier. Mes compliments ne sont que pure vérité, on ne pourra me le reprocher. »

Lady Rhona affirma que combattre courageusement était le meilleur moyen d’évaluer la valeur d’un homme. Mourir au combat était un honneur selon elle.

« Si vos paroles étaient fausses, cela serait bien triste n’est-ce pas ?»

Quelle tristesse en effet si la mort dans la guerre n’était pas récompensée. Si l’on mourrait pour rien, sans rien attendre, sans rien laisser pour les vivants. Si tuer des hommes n’était pas un mal nécessaire pour défendre l’honneur.

« Il serait injuste d’exiger que la seule valeur d’une femme soit sa beauté, ne trouvez-vous pas ? Son excellence dans les arts me semble en effet une meilleure idée. On demande à une femme d’être une épouse et une mère. peut-être peut-on alors évaluer sa valeur sur sa capacité à aimer. Il faut beaucoup d’amour pour supporter tout ce qu’une femme doit endurer dans sa vie. Or je trouve que le monde manque d’amour en ces temps périlleux. »

La demoiselle devait bien admettre qu'elle ne s'était que rarement retrouvée totalement seule avec un homme, autre sur son père ou son frère... Il y avait bien Floki aussi, la jeune fille s'étant prise de passion et de curiosité pour le guerrier nordique qui était devenu loyal à la famille et lui comptait des histoires de son pays, ravissant les jeunes oreilles de la demoiselle et apparemment ravi de pouvoir parler de chez lui à quelqu'un d'aussi attentif. Il y avait aussi quelques jeunes valets, mais cela n'était jamais aussi long, jamais aussi... Elle n'aurait su dire quel était le terme exact. Il y avait quelque chose d'intime dans cette rencontre un caractère qui était inédit pour elle. Le jeune guerrier avait l'âge de se marier, l'âge de lui faire la cour. Cette discussion avait un petit goût d'interdit.

« Cela m'est arrivé, mais jamais un étranger, ni un jeune homme plaisant de votre facture. »

Oui, elle avouait qu'elle le trouvait charmant. Il fallait admettre que Fillian était un bel homme, de belle composition et avec une discussion agréable. Mais ce qui n'était qu'échange anodin ne devait pas devenir badineries... S'il y avait bien une chose que Rhona MacGuffin ne pouvait se permettre, c'était de laisser son cœur dicter ses actes et venir rendre la situation plus compliquée. Elle avait un rang à tenir. Depuis toujours, elle savait que son sort serait lié à un inconnu ou quasiment, que son père lui aurait choisi, afin de sceller des alliances et s'assurer l'appui de certains clans. Comme il le ferait avec Bearach et Eileen. La jeune fille ne pouvait s'empêcher de se demander si cette alliance entre le nord et les Lowlands allait aboutir à des mariages afin que l'alliance soit plus concrète. Et dans ce cas, Gabran allait-il sacrifier une de ses filles et l'envoyer dans le Nord ? Elle n'en avait aucune idée et n'en discuterait pas avec lui, cela n'était pas affaires de femmes. Elle n'avait pas son mot à dire en matière de politique, contrairement à sa mère qui s'en mêlait trop, ce que lui reprochait d'ailleurs son époux.

Elle affirma que la valeur d'un guerrier se mesurait à ses cicatrices, à sa façon de survivre... Fillian était bel et bien vivant. Beaucoup de guerriers étaient morts. Survivre aux batailles pouvaient s'expliquer par plusieurs facteurs : la chance... Le courage... L'entraînement. Ou bien la couardise. Mais elle n'aurait su juger l'homme qui lui faisait face.

« En quoi croire si cela est faux Seigneur Forbes ? »

Elle sourit.

« Il faut croire en certaines choses, sinon, tout ce que nous faisons n'a aucun sens, ne pensez-vous pas ? »

Elle était convaincue que la foi était primordiale. Il fallait croire en plusieurs choses pour avancer dans la vie, sinon elle n'avait absolument aucun but, aucun sens... Pourquoi se battre ? Pourquoi risquer sa vie pour son seigneur si l'on n'était pas récompensé ? Fillian lui renvoya la question concernant la valeur d'une dame et Rhona s'en trouva bien embarrassée, cherchant ses mots. Quand enfin, elle les trouva, Fillian fit remarquer que la beauté ne pouvait être gageure de la valeur d'une dame. Les autres critères lui plaisaient davantage. Elle sourit à la fin de son discours concernant l'amour. C'était rare d'entendre un homme parler ainsi.

« Voilà des paroles qu'il est agréable d'entendre... Et qui sont fort peu formulées par les hommes. Seriez-vous un romantique ?  Ou un idéaliste ? Les deux peut-être ?»

« Cela m'est arrivé, mais jamais un étranger, ni un jeune homme plaisant de votre facture. »

Fillan ne put s’empêcher de sourire. Il était bien rare qu’on le complimente sur son physique. Son père lui reprochait de ne pas être assez musclé, pas aussi bien bâtis que ses frères. Sa mère, comme toutes les véritables mères, l’aimait tel qu’il était et le cajolait. En grandissant on avait davantage envie de l’appeler fillette que sire.

« Votre compliment me touche droit au cœur lady Rhona. Surtout venant d’une femme qui côtoie la beauté chaque jour. »

Il comprenait cependant que la jeune fille soit intimidée. Il l’était également mais il le dissimulait. Le jeune homme avait rarement l’occasion de compter fleurette à une femme et encore moins à discuter avec une dame de si haut parage. Il offrit un large sourire à son interlocutrice. Leur conversation s’orienta hélas vers des sujets plus douloureux. L’art de la guerre le chagrinait. A l’inverse de Fergus, son frère, ou même son père, il n’était pas exalté par l’idée de se battre. Finn était plus calme mais il adorait les joutes et les affrontements équestres. Et lui que préférait-il faire ? Lire. Lire sur tout le monde qui l’entourait, apprendre le nom de chaque plante, chaque étoile, chaque animal… Nourrir les chiens, les oiseaux, les chevaux… Mais jamais ô grand jamais prendre une arme à la main et rêver à des exploits guerriers. L’entraînement martial était une véritable corvée. Il était au supplice quand le maître d’arme lui commandait de frapper et il souffrait le martyr quand il devait encaisser les coups sur son petit bouclier de cuir.  

« Croire en Dieu. Au repos éternel des justes. Il faut en effet avoir la foie pour vivre sinon plus rien n’a de sens. Je plains sincèrement les âmes qui n’ont pas trouver le réconfort dans les paroles du Christ. »

Sa mère aurait voulu le voir moine. Elle savait que son tendre petit serait à l’abri dans un monastère. Il n’aurait pas à se battre et pourrait lire à loisir. Mais Fergus père en avait décidé autrement. Son fils était un Forbes et il resterait parmi les Forbes. Alors Fillan avait espéré devenir mestre. Mais là encore son père avait refuser. Les Forbes étaient des guerriers et rien d’autre.
Lady Rhona sembla agréablement surpris par ses paroles. Il avait en effet parler de la valeur des femmes qui se mesurait selon lui par leur capacité à aimer.

« Je crois en effet que je suis un idéaliste. Je suis connu pour mon pacifisme au sein de mon clan. Je ne suis pas un guerrier ma dame. Je suis une fervent défenseur de la paix et je souhaiterais que les mots seuls suffisent pour gagner des batailles. Cette guerre est une folie qui nous détruira tous. Notre reine est Merida et personne d’autre ne devrait envisager de prendre sa place. Se rebeller contre elle est pure folie et un odieux outrage. » Il émit un faible sourire. « Je dois vous paraître bien moins brave maintenant.»

La jeune lady sourit alors qu'il s'estimait touché par le compliment, tandis qu'elle côtoyait la beauté chaque jour. Chacun ses goûts, c'était une évidence, mais Rhona trouvait charmant cet homme venu du Nord, qui parlait si bien et semblait doux alors que c'était un guerrier. Pourtant, il ne fallait pas se fier aux apparences. Gabran MacGuffin était un homme impitoyable au combat, mais juste, redouté de ses ennemis, mais quand il se trouvait avec sa fille, il pouvait se montrer d'une douceur et d'une gentillesse que peu auraient pu soupçonner. Bearach était pareil. Un guerrier, qui se devait de suivre l'exemple de son père, mais qui était très délicat dés lors qu'il s'agissait de sa petite sœur. Sorcha et Eileen ne comptaient pas, puisque la mère de la jeune femme faisait vivre un enfer à son beau-fils et avait apprit à son aînée à se comporter pareillement avec lui.

Ainsi la compagnie de Fillian était agréable et si les convenances auraient voulu qu'elle se dépêche de le conduire dans un lieu empli d'hommes et retourne à son devoir de femmes, son esprit un peu libre avait décidé de le garder encore un peu et d'en apprendre davantage. Il était certain que si un de ses oncles, son père, son frère ou même sa mère la voyaient seule avec cet étranger, elle aurait le droit à de sévères représailles, plus ou moins importantes selon la personne qui les verrait et les interromprait immanquablement.

Et d'une banale discussion badine, ils passèrent au terrible événement du banquet, avant de s'attarder sur des considérations moins terre à terre et plus philosophiques. Pour la jeune femme, il était primordial de croire en quelque chose pour accomplir son devoir, pour tenir. Si un guerrier ne croyait pas en un paradis accessible aux valeureux, s'il ne croyait même pas en des valeurs comme la justice et l'honneur, alors pourquoi se battre ? Par devoir envers son Laird ? Envers son peuple ? Elle comprenait que pour certains hommes, ces combats n'aient pas de sens. C'était une lutte de pouvoir. Et beaucoup se battaient parce qu'ils n'avaient pas le choix. Ce n'était pas glorieux, mais c'était une réalité.

« Moi également... A moins que ces âmes ne croient en autre chose. Un homme peut se battre pour bien des raisons... Par devoir, certes, mais également pour protéger ce qu'il aime... »

C'était sans doute là la plus noble cause. Protéger les siens, protéger ses terres. Plus noble que par soif de pouvoir. Et c'était malheureusement ce qui poussait les grands de ce monde à se livrer cette guerre fratricide. Est-ce que son propre père rêvait d'être roi ? Soutenir la reine Merida, n'était-il pas un signe qu'il voulait simplement la paix et que justice soit rendue ? Elle était reine, il n'y avait pas à discuter là dessus... Mais Gabran avait-il des ambitions bien plus hautes ? Rhona l'ignorait. Et alors qu'elle parlait de la valeur des hommes, il lui donna son point de vue sur celle des femmes, la surprenant par ses paroles qui n'étaient guère habituelles chez un jeune guerrier. Elle lui demanda alors gentiment s'il n'était pas idéaliste. Ce qu'il lui confirma et n'étonnait guère la jeune demoiselle.

Il lui apprit ne pas être un guerrier, mais un défenseur de la paix. Elle sourit quand il parla de diplomatie plutôt que de combats. Il lui confia alors son point de vue au sujet de la guerre. Il se battait pour que la reine légitime garde son trône. Sa dernière phrase lui fit secouer la tête négativement.

« Il faut du courage pour défendre ses idées, qu'importe qu'il faille une épée ou une langue pour se faire. Il est certain que cette guerre ne se gagnera pas par la simple diplomatie, même si le jeu des alliances est déjà en route. Les complots et les trahisons sont légions... beaucoup se perdent sur le chemin de la victoire et oublient qui ils sont. Votre dévouement à la reine est tout à votre honneur, mais ne le brandissez pas trop en étendard au sein de ces murs. Tous ne partagent pas votre avis et verraient bien mon père prendre sa place. Serait-il plus capable qu'elle ? Je n'en sais rien. La reine a commis des erreurs. Est-elle capable d'en apprendre ? Dites-moi Seigneur Forbes, Merida est-elle une bonne reine à vos yeux ? »
© will o' the wisp

Fillan avait toujours trouvé les mots justes. Déjà enfant il était le ravissement des dames tant il parlait gracieusement. Et lorsqu’il chantait elles en avait les larmes aux yeux. Elles le cajolaient et l’embrassaient sur ses joues dodues. Fillan adorait cela et il aurait voulu ne jamais les quitter. Puis il avait fêter son sixième anniversaire et il était en âge d’apprendre à devenir un homme. Il aurait fait une meilleure fille. Mais il devait se contenter d’être un médiocre fils.

Le jeune homme reconnu le couloir qu’il avait emprunté pour quitter la salle du conseil. Il ralentit son allure pour rester encore le plus longtemps possible auprès de lady Rhona. Sa compagnie était des plus charmante et son esprit affûté rendait leurs échanges des plus intéressants. Ils avaient parler du banquet, de la valeur d’un homme et de celle d’une femme. A présent il débattait sur la raison qui poussait les hommes à se battre et à suivre leur devoir. Pour Fillan la confiance d’un monde après la mort était le seul réconfort. Sans cela l’idée de se battre et de mourir n’avait pas le moindre sens. Mais lady Rhona aborda aussi la question de défendre sa famille. Et pour cela un homme pouvait donner sa vie.

« Vos parents doivent être si fiers d’avoir une fille à l’esprit aussi fin. La famille me semble en effet une raison honorable de sa battre. La famille est… un don que nous recevons à la naissance. Nous ne la choisissons pas mais nous devons vivre avec tout au long de notre vie. Et tout bien doit être protéger. »

C’était cette raison, savoir que le Seigneur l’avait placé dans cette famille, qui le poussait à obéir à son père. Même si cela lui pesait de se battre quand il voulait la paix, de s’entraîner quand il voudrait lire ou écrire, de se marier quand il pensait ne pas le mériter. Une femme, un lady qui plus est, devait épouser un homme capable de la défendre. Mais il avait de l’amour à revendre et il honorerait son épouse.

« Vous êtes une sage lady Rhona et l’homme qui deviendra votre époux sera un homme comblé. Je vous remercie pour vos conseils.»

Elle avait raison. Une guerre se s’était jamais gagnée simplement avec des mots. Les seigneurs de la guerre ne connaissaient que la force. Il espérait simplement que le laird MacGuffin soit différent. Mais en écoutant la fille il comprit que le père pourrait lui aussi revendiquer le trône. Ou bien était-ce seulement le souhait de certains vassaux ? Sa dernière question le prit de court.

« Merida est... la seule souveraine vers laquelle nous devons nous tourner. Qu’un roi soit bon ou mauvais ou qu’il ait fait des erreurs ce n’est pas au peuple de le juger. Le peuple ne se bat pas contre son roi mais toujours pour son roi. Les lairds ont exprimé leur mécontentement, c’est leur droit, mais à présent c’est à la reine de remédier à la situation. »

Les trois lairds étaient à présent mariés et pères. Quel besoin encore d’accabler la reine Merida ? Elle avait trois frères qu’elle pouvait marier pour apaiser les tensions. Mais cela suffirait-il pour apporter enfin la paix ?

C'était rafraîchissant de pouvoir discuter avec quelqu'un qui avait un tel esprit et ne jugeait pas. Fillian semblait plus disposé à user des mots que d'une épée et bien que la jeune fille soit admirative de la puissance et l'habileté des guerriers, elle avait souvent l'impression de ne pas être comprise au sein même de sa propre famille... Eileen et Sorcha se moquaient bien des livres et de la passion de Rhona pour ceux-ci et Bearach n'en avait rien à faire des récits d'autres héros en des temps glorieux bien plus anciens que ceux actuels. Quant à Gabran, s'il encourageait sa cadette à s'instruire ainsi et lui passait ses caprices à ce sujet, ce n'était sans doute pas là sa propre passion. Comme elle ne partageait pas forcément ses opinions avec son frère ou son père concernant la guerre mais était assez sage pour ne pas énoncer les siennes. Elle était loyale à sa famille et jamais ne tenterait de les desservir.

Mais avec cet étranger, il était plutôt aisé de discourir et d'échanger et cela ravissait la demoiselle qui ne se privait pas de livrer ses opinions, tout en demeurant prudente quand même. Elle n'était pas une écervelée qui agissait sans conséquences. Quoique certaines personnes puissent en penser. Elle était fraîche et spontanée mais pas inconséquente.

Et quand ils abordèrent le sujet de la guerre et des idéaux à défendre, du fait de savoir qu'il existait un monde meilleur pour les guerriers, ou, si on n'y croyait pas, de combattre pour des valeurs et protéger les siens, ils semblèrent tomber d'accord. Il fallait croire en quelque chose, qu'importe que cela soit réel ou non. Il fit alors remarquer que ses parents devaient être fiers d'avoir une fille à l'esprit aussi fin et elle fit une légère grimace. Son père l'était. Pour sa mère, elle n'était que désillusions.

« Voilà de bien belles paroles. »

Et sur lesquelles elle pouvait elle-même méditer... On ne choisissait pas sa famille, mais on devait vivre avec tout au long de sa vie... Et la protéger. Même si elle ne s'entendait pas avec sa mère et sa sœur, elles étaient du même sang... Oui, cela avait de quoi la laisser songeuse. Du haut de ses 15 ans, elle était sans doute plus mâture que bien des femmes de son âge, mais avait encore tellement à apprendre, sans compter l'immaturité de ses propres sentiments. Il ajouta que l'homme qui l'épouserait serait un chanceux, la remerciant pour ses conseils. Un fin sourire ourla ses lèvres :

« Et je vous remercie pour vos paroles, sans doute ne savez-vous pas à quel point elles peuvent être importantes pour moi. »

Non, il ne pouvait pas savoir que la gracieuse et candide cadette des MacGuffin manquait tant de confiance en elle, ne se trouvait pas assez jolie, pas assez digne de son rang. Pourtant, cet échange avec cet homme lui redonnait un peu de baume au cœur, alors que lui, semblait apprécier sa compagnie et son physique de petite fée.

« Cela va sans doute vous sembler bien cavalier, mais j'espère sincèrement que l'homme que mon père me choisira aura votre esprit Seigneur Forbes. Il est agréable de converser avec un homme tel que vous. »

C'était sans doute direct, peut être inconvenant, mais c'était dit avec toute la sincérité du monde. Elle pensait réellement ce qu'elle disait, espérant que son père lui trouverait un époux avec lequel elle pourrait épanouir son esprit. Autant que son corps et son cœur, même si c'était sans doute trop demander de tout avoir. A défaut de son amour, elle se contenterait de son corps et son intellect, ce serait déjà plus que beaucoup de femmes pouvaient obtenir. Et leur conversation dériva sur la légitimité de Merida sur le trône. De la légitimité des revendications des Lairds mécontents. En homme du Nord, Fillian défendait la Reine. Rhona se gardait bien d'évoquer ses propres opinions. La réponse du jeune homme ne la surprit pas vraiment alors qu'elle commençait à le cerner. Loyal, quelque soit la personne à qui il devait son allégeance.

« La reine est chanceuse de compter sur votre loyauté. »

Elle marqua une petite pause, avant d'ajouter :

« Si les erreurs d'un souverain mènent le pays au désastre ? Si cela nuit au peuple, n'est-il pas en mesure de manifester son mécontentement, d'exiger d'être guidé comme il se doit ? Ne vous méprenez pas, je ne suis pas en train de critiquer la reine, c'est surtout une question idéologique... Mais je peux comprendre la révolte qui s'est nichée au cœur des hommes. Comme leur soif de puissance derrière un but plus noble porté en étendard comme le bien du peuple. »

Elle ne critiquait personne, ne visait personne, et pourtant, c'était tout le monde qui était touché... Aodhan Macintosh, Rghnall Dingwall... Qu'est-ce qui les motivait ? Et Gabran MacGuffin ? Il s'était rallié à la reine, pensait-il qu'elle devait conserver sa couronne et l'avait-il rallié pour cela ou bien était-ce pour mieux l'approcher et avoir cette couronne tant convoitée ? Rhona adorait son père, mais pas au point d'être aveuglée...
© will o' the wisp

Lady Rhona possédait une fraîcheur comme peu de monde pouvait en avoir. Et cela ne tenait pas uniquement à son jeune âge. Elle avait le cœur pur. Il fallait qu’elle le garde. Cela serait parfois difficile mais un cœur pur triomphait toujours. Il en était persuadé.

La jeune fille le remercia pour ses paroles. Fillan sourit bien qu’il ne comprit pas comment ses paroles pouvaient être si importantes pour elle. Mais elle était la benjamine de sa famille, tout comme lui, et il était bien placé pour savoir ce qu’un dernier né pouvait ressentir. Il n’était pas l’aîné. Et même si les parents étaient attentionnés et rassurants ce sentiment demeurait dans le cœur du dernier né. Je ne suis pas aussi important que mes aînés. Je n’hériterais pas. Je n’ai pas à être mis en avant. Il avait ressentit cette peine et lorsqu’il discutait avec d’autres cadets il retrouvait en eux ce sentiment, plus ou moins intense. Mais les derniers mots de lady Rhona le sortirent de sa mélancolie. Il offrit un large sourire.

« Je suis extrêmement flatté ma dame. Mais c’est un honneur bien trop grand pour moi. Mon esprit n’est pas aussi affûté que le vôtre. Je suis un amateur et vous êtes un disciple. Un jour peut-être nous nous reverrons et nous serons devenus des maîtres. »

Il souhaitait également qu’un homme d’esprit devienne son époux. L’amour et le respect devait unir un couple. Chacun devait pouvoir s’épanouir. C’était du moins sa vision des choses. Il savait que cela était rare. Nombreux étaient ceux qui voyaient le mariage comme une alliance entre deux familles, une dote et un ventre pour les héritiers. Lady Rhona était indéniablement trop intelligente pour cela. Plus il l’écoutait parler plus il le comprenait. Bon sang mais quelle fierté elle devait apporter à son père !

« Vous êtes d’une grande clairvoyance ma dame. Votre discours est juste et c’est si rare d’en entendre. D’un point de vue idéologique, je crois que vous avez raison. Il me semble qu’entre le roi et son peuple il doit y avoir de la confiance, de l’amour et du respect. Un peu comme un mariage. Les deux parties doivent être équilibrées. Le roi a des droits mais il a avant tout des devoirs. Tout comme le peuple. Cependant la reine Merida n’a rien fait qui justifie un tel soulèvement.»

Il n’avait pu s’empêcher de défendre encore la reine. Comme si son discours risquait de lui porter préjudice. Pour détendre l’atmosphère il se permit une petite plaisanterie en riant.

« Je crois que nous pourrions porter notre candidature auprès de la reine. Elle pourrait être ravie de nous avoir comme conseillers. Nous formerions une belle équipe !»

La jeune fille sourit à la réponde du jeune seigneur. Il se dévalorisait grandement en ne se pensant pas assez érudit... Ou bien il la portait aux nues en la pensant trop intelligente, ce qu'elle n'était pas. Simplement, la jeune femme aimait nourrir son esprit, aimait se poser des questions et ne rien prendre comme acquis. Quand bien même serait-elle la seule à soutenir une opinion, elle continuerait quand même. La majorité n'était pas forcément détentrice de la vérité, juste d'une croyance commune, qui pouvait être erronée. Peu étaient ceux qui s'interrogeaient sur la vie, sur son sens, sur ce qu'on choisissait de croire... Les femmes devaient se marier et assurer une descendance, gérer le domaine quand les hommes étaient au combat... Être un réconfort pour les guerriers fatigués, quand les hommes avaient l'amabilité de considérer leurs épouses, ce qui n'était malheureusement pas toujours le cas. Les hommes, devaient servir leurs seigneurs, protéger leurs clans et se battre pour cela. Voilà en quoi se résumait la vie. Bien triste constat. A côté, il y avait les paysans, les fermiers, les éleveurs, qui fournissaient le clan de leurs produits. Ils devaient servir, encore et encore. Le fruit de leur dur labeur n'était même pas totalement à eux.

Parfois, la jeune fille pensait qu'elle n'était pas née au bon moment. Elle s'interrogeait sur le futur, sur les siècles à venir. Ses lectures lui avaient prouvé que l'humanité évoluait constamment, que les croyances évoluaient... La preuve en était ici, en Écosse. Beaucoup croyaient aux sorcières, aux feux follets, aux brownies et autres créatures. Et pourtant, beaucoup étaient de fervents catholiques. Hors, la religion du Christ ne bannissait-elle pas ces créatures ? Ou elle en faisait des créatures du Diable. Que croire ? En quoi croire ? En la nature et ses bienfaits ? En un Dieu tout puissant ? A trop réfléchir, les convictions de la jeune femme se télescopaient.

« Vous me prêtez plus de valeur que je n'en ai réellement, je le crains. Mais il me plairait de vous revoir un jour, si l'occasion se présente. Qui sait de quoi l'avenir sera fait ? »

Alliés aujourd'hui, ennemis demain... Amis ensuite ? Elle n'y croyait pas, la méfiance étant trop ancrée dans le cœur des écossais. Mais allez savoir ce qu'il pouvait advenir en ces temps troublés ? La discussion dévia, à l'initiative de la jeune fille, sur les devoirs et droits d'un monarque. Fillian était fidèle jusqu'à la moelle à Merida, et se gardait bien de la juger. Rhona était un peu plus critique, sans pour autant rejeter toutes les fautes sur la reine. Mais il était de fait qu'elle avait commis des erreurs et que le peuple était mécontent. Il aurait fallu qu'elle s'en rapproche, qu'elle les écoute, qu'elle montre qu'elle avait la poigne nécessaire pour diriger ces hommes, ces guerriers farouches. Et pour le moment, ce n'était pas le cas. Elle avait vécu bien des drames qui avaient du la fragiliser... La loyauté de ses vassaux était loin d'être acquise. Rhona n'aurait pas aimé être à sa place et si une part d'elle admirait son esprit libre, une autre part condamnait cet esprit qui plongeait le pays dans la guerre civile. Si elle avait accepté de se marier comme n'importe quelle jeune fille, les choses n'auraient pas tourné ainsi.

Fillian abonda dans le sens de la jeune femme, comparant la relation entre un roi et ses sujets comme un mariage, ce qui la fit sourire un peu tristement :

« Nous savons vous et moi que les mariages où règnent confiance, amour et respect sont malheureusement bien rares. Qu'il existe rarement un équilibre parfait entre les deux parties. Mais peut-être que l'exemple est judicieux et prouve juste que j'en demande trop à un monarque, comme j'en demanderais sans doute trop à mon futur époux. »

Elle sourit doucement, mais avec un rien de tristesse dans le regard, résignée à son sort, mais espérant toujours que son père aura la clairvoyance nécessaire pour lui trouver un époux qui lui convienne.

« Ah vous me faites miroiter des merveilles... Conseillère royale, voilà de quoi stimuler sans cesse mon esprit. Mais également avoir sur les épaules une lourde responsabilité. Je devine que vous préféreriez le rôle de conseiller à celui de guerrier. Peut-être même y excelleriez-vous. »

Elle marqua un temps d'arrêt.

« Nous sommes arrivés à l'embranchement où vous vous êtes trompé. Prenez le couloir de droite et vous retrouverez vos quartiers. Si vous tournez à gauche, vous pourrez rejoindre la Cour. Cela a été un plaisir de vous rencontrer Seigneur Forbes. J'espère que les choses se calmeront avant que trop de sang des nôtres n'ai coulé. Et je prierai pour votre vie et le salut de votre âme. »

« Vous me prêtez plus de valeur que je n'en ai réellement, je le crains. Mais il me plairait de vous revoir un jour, si l'occasion se présente. Qui sait de quoi l'avenir sera fait ? »

De quoi l’avenir serait fait ? En voilà une bonne question. Son éternel optimisme se pavanait déjà vers un avenir radieux. Mais la guerre et la mort l’avait changé. Si au plus profond de son tendre cœur il aspirait au meilleur, la réalité le rattrapait et le forçait à observer. Elle lui maintenait les yeux grands ouverts sur la dureté du monde. Regarde Fillan, garçon fillette, regarde ce que les hommes font et ce que les femmes endurent. La guerre, la jalousie, l’envie, la haine, la rage, la mort, les larmes, voilà, oui voilà de quoi le monde est fait. Et tu crois toujours que le meilleur est à venir ? Méfiance mon tout petit, les alliés d’aujourd’hui peuvent devenir les ennemis de demain.

« Je serais également ravi de vous revoir. En des temps moins troublés. Lors d’un banquet festif saluant la fin de la guerre. »

Ou dans une cellule humide et froide. Que sera le prisonnier et qui sera le geôlier ? Obtiendra-t-il de la jeune fille des larmes suppliantes ou un regard fuyant ? Qui sera à genoux et qui sera droit sur ses pieds ? Cette guerre aboutira-t-elle vers une fin heureuse ? Merida, sa chère reine, connaîtra-t-elle enfin le repos ? Chaque soir il priait pour elle. Pour cette souveraine qu’il aimait tant. Un amour pur et sincère d’un vassal envers son suzerain. Et cette relation d’un monarque et son peuple, comparé au mariage fit sourire la belle Rhona.

« Peut-être est-ce de ma part d’avantage un idéal qu’une exigence. Nous sommes souvent déçus par nos idéaux… »

Il sentait bien que la voix de Rhona n’était pas aussi légère que son sourire.
« Je suis certain que votre père vous trouvera le plus exquis des hommes. Il sait comme moi que vous le méritez. Un père veut toujours le meilleur pour ses enfants.» dit-il en tenta de la rassurer.

Alors pour ne plus songer aux tourments, ils rêvèrent ensemble d’une autre vie. Ils seraient conseillés à la cour. De quoi sans cesse stimuler leurs esprits avides de connaissances. Mais là encore la réalité les rattrapait.

« Toute bonne chose demande une contrepartie. Tout pouvoir entraîne une responsabilité. Je crois en effet que la vie de conseiller me conviendrait davantage que celle de guerrier. Mais je serais ennuyeux à toujours réclamé la paix et la sagesse. Non je devrais resté enfermé dans ma bibliothèque à écrire des contes et des chroniques. »

Cela était la vie qui lui conviendrait. Il ne se plaindrait jamais et n’aspirerait à rien d’autre. Une existence calme, peuplée d’être fabuleux qui gambaderaient dans son imagination fertile pour se coucher sur le parchemin. Il s’imaginait en train de dessiner des lutins au regard malicieux, des fées aux ailes délicates, des trows aux yeux globuleux… Un oiseau de feu ayant posé son esprit sur le corps d’une enfant à la chevelure flamboyante. Cet enfant serait devenu une femme et elle se trouvait là en face de lui. Et elle lui disait adieu.

« Je vous remercie de votre bonté à mon égard ma dame. Je sais que cela n’est guère convenable mais comme vous avez été honnête avec moi, je le serais avec vous. Il me plairait de vous revoir et de vous écrire mais je sais que votre père n’y consentirait pas et je le comprend. Je ne peux donc qu’espérer vous revoir si le Seigneur nous le permet. Mes prières vous accompagneront également. »

Il s’inclina et sourit.

« Je crois qu’il est temps de se dire au revoir. Car ce n’est qu’un au revoir ma dame.»

Il s’inclina une dernière fois. Une dernière fois il s’autorisa à la regarder, à mémoriser ses traits pour les reproduire le plus fidèlement possible. Une dernière fois il sourit. Et puis il disparu dans les couloirs.