___________________________

Un sommeil si paisible. Enfin, c'est ce qu'on pourrait croire. Au milieu de la nuit, la petite fillette, allongée sur sa couche, dormait à point fermé, tel un ange. Malgré cela, des scènes sanglantes se déchaînaient dans l'esprit de la petite fille en question. Tournant brusquement la tête, Olwhèin Beitris grimaçait face aux images qu'elle était seule à voir. Plongée dans un sommeil profond mais peu récupérateur, elle subissait des rêves qui lui paraissaient plus réels que la réalité elle-même. Habillée d'une longue robe blanche, la petite fille marchait le long de la forêt dans laquelle elle se trouvait. Sa crinière brune et épaisse était si longue que ses pointes lui caressaient les courbes de ses hanches lorsqu'elle marchait. Olwhèin était sereine, si calme qu'elle sentait à peine les branches de pin lui tailler ses pieds nus. Elle avait la nette impression d'être une petite fée qui se promenait dans une forêt qui lui était inconnue. Pourtant, un sentiment de plénitude la contrôlait. Un sixième sens la titilla alors. Quelque chose n'allait pas. Tournant doucement la tête vers la droite, un son presque inaudible se faisait entendre, au loin. La douce enfant aux yeux turquoises scrutait l'horizon, sachant qu'un évènement se préparait. Lequel ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Levant le menton vers le ciel, elle admira la brillance surnaturelle de la lune ronde. Mauvais présage ? Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir. Des cris assourdissants s'imposèrent. Des dizaines d'hommes se livraient bataille, donnant la mort à ceux qui hésitaient à faire de même. Un vrai lieu de guerre. La fillette, impuissante, assistait à cette scène qui se déroulait au ralenti. Un homme d'une trentaine d'années, aux allures de monstre sanguinaire, remarqua alors la présence d'Olwhèin. Une épée à la main, il se mit à courir vers elle. La jolie petite fille ne bougeait pas, se contentant d'observer l'homme menaçant qui s'affichait, à présent, face à elle. Ses lèvres bougeaient, toujours au ralentit, mais aucun son n'en sortait. La fillette de huit ans fronça les sourcils, ayant l'impression d'être sous l'eau tellement l'absence de son était surprenante. C'est alors que le cri de l'homme lui parvint aux oreilles. Poignant. La lame de l'épée déchira ses entrailles avant même qu'elle ne comprenne quoi que ce soit. La douleur était saisissante qu'elle n'arrivait plus à penser, ni respirer. L'hurlement qu'elle voulait pousser resta coincé au fond de son gosier. Sentant des mains se posaient sur elle, la petite fille se débattait comme un diable. Il lui fallut plus d'une minute pour se rendre compte qu'elle n'était plus dans cette forêt terrifiante. Son frère se tenait là, tout près d'elle, tentant de la prendre dans ses bras afin de la calmer, tandis que sa soeur lui donnait des coups à répétition : « Olwhèin ! Olwhèin, c'est moi ! Calme toi ! Olwhèin ! » Ses yeux d'un bleu profond avaient toujours eu le don de la calmer, c'est pourquoi elle retrouva son calme petit à petit. Néanmoins, la jeune fille était essoufflée comme jamais. Son frère la tenait fermement par les bras : « Olwhèin, je suis là, tout va bien ! Regarde, c'est moi ... Je suis là, tu n'as rien à craindre » La petite fille aux cheveux d'une longueur démesurée chercha à reprendre son souffle, tandis que ses yeux cherchaient le réconfort du regard de son frère jumeau. D'une voix terrifiée, un seul mot sortit de sa bouche : : « Toi ... » Sa panique retomba, tel un ascenseur émotionnel. Elle éclata alors en sanglots. Épuisée par son rêve et par la peur qu'elle y avait ressenti, elle ne parvenait plus à s'arrêter. Son frère la glissa alors dans ses bras, la berçant doucement, prêt à rester ici toute la nuit s'il le fallait. C'était ce que Olwhèin ressentait. Un lien puissant et fraternel les liait, un lien qui frôlait la télépathie à certains moments. C'était peut-être ce dont elle avait besoin, après tout, pour comprendre l'étrange personne qu'elle était. Les minutes passaient, puis les heures. Toujours dans les bras de son frère, la petite fillette se calmait petit à petit, à deux doigts de rejoindre, à nouveau, les bras de Morphée. Son frère, quant à lui, était parfaitement éveillé, allongé, sa soeur dans les bras, tandis que sa main caressait doucement le bras de sa petite soeur. Visiblement, il tenait à rester éveillé tant que la belle n'avait pas retrouvé le sommeil. Les paupières de la petite brune battaient de l'aile. Cependant, elle fronça les sourcils lorsque ses yeux tombèrent sur des traces rouges. Des griffures ? Elle observa à nouveau ses pieds, qui demeuraient en sang. Le souvenir de la douleur qu'elle avait ressentie dans son rêve lorsqu'elle avait marché sur des branches la frappa. N'était ce pas un rêve ? Bien sûr que si. Mais la petite fille préferait croire en un potentiel pouvoir magique plutôt qu'à un simple trouble du sommeil qu'était le somnanbulisme. Peut-être que ce besoin de magie était une manière de ne pas affronter la réalité de la guerre. D'adoucir la dure vie de ce sjours difficiles. Mais surtout, sa croyance profonde en la magie la rassurait : si la magie existait, alors cette guerre avait lieu d'être.

Crac. La jeune femme s’immobilisa, évitant tout geste brusque. La discrétion n'avait pas été son fort aujourd'hui. Il lui avait fallu une heure pour débusquer une horde de perdrix, mais seulement cinq minutes pour les faire fuir. Elle avait toujours été relativement douée pour la chasse, mais elle était encore jeune, et - du haut de ses seize ans - elle avait parfois du mal à faire preuve de prudence et de calme absolu, elle qui était si impulsive. Mais elle apprenait. Et vite. Pourtant, elle venait de commettre une faute irréparable. Marchant sur une brindille morte et grisâtre, elle avait fait fuir la biche qu'elle pistait depuis quelques minutes. Cette dernière bondit sur pattes, aussi vive que l'éclair, et disparut rapidement du champ de vision de la belle, qui tenta - non sans découragement - une dernière flèche qui trouva refuge dans le tronc d'un arbre cinq fois plus grand que sa petite personne. Poussant un long soupir, Olwhèin passa sa fine main sur son front, dégageant ainsi quelques longs cheveux qui étaient venus s'aventurer sur son visage. Son coeur la faisait tellement souffrir, ces jours-ci. Des douleurs qui l'inquiétaient, la plupart du temps. Mais elle ne pouvait pas se permettre de dépenser de folles dépenses pour entendre de la bouche d'un charlatan ce qu'elle savait déjà : elle était en mauvaise santé, et rien ne pourrait la sauver. Elle s'assit sur le rocher recouvert de mousse se trouvant à ses côtés et leva légèrement son visage pour s'informer de l'avancée du soleil. Il n'allait pas tarder à se coucher, peut-être devrait - elle rentrer. Son frère n'allait pas tarder à s'inquiéter. Il détestait la voir partir seule pour la journée, encore plus pour une partie de chasse. Seulement, la belle ne voulait en aucun cas voir son frère abattre des animaux. Elle se rendait bien compte qu'ils étaient différents, et qu'il était bien plus sensible qu'elle. Sensible d'esprit, elle de corps. Dans un sens, tout était équilibré. Un fin sourire amusé trouva refuge sur ses fines lèvres. Mais plus pour très longtemps. Sentant un souffle s’abattre sur son épaule, elle se rendit compte assez rapidement qu'elle n'était pas seule. Se tournant lentement, elle se retrouva alors nez à nez avec une bête sauvage qui la fixait, prête à lui bondir à la gorge. Non déstabilisée mais toutefois apeurée, la belle brune garda son calme le plus totale, immobile comme la pierre, accrochant son regard noisette dans celui de l'animal. Elle ne parvenait pas à l'identifier, mais une chose était sûre : elle sentait la menace. Une menace sérieuse. Courir ? Ou au contraire, rester immobile ? Dur de savoir quoi faire quand on ne sait pas à qui on est confronté ... A cet instant précis, au milieu de la foule d'émotions qu'elle ressentait, une pensée raisonnable fit son apparition : heureusement qu'elle n'était pas venue avec son frère. Les grognements furieux de la bête lui firent comprendre qu'il était peut-être préférable de s'éclipser dans les règles de l'art. Se levant avec toute la douceur, la lenteur, et la délicatesse que sa peur pouvait lui permettre, elle recula de quelques pas, ne quittant pas le regard de la bête, qui semblait hypnotisé par l'intensité de la couleur des yeux de la jeune demoiselle. Elle poursuivit son chemin avec une douceur incroyable, s'armant du courage que lui insufflait la vision de la bête qui semblait apaisée et inoffensive. C'est alors qu'un corbeau noir, de ses grandes ailes, parcourut l'espace jusqu'alors silencieux, et croisa à la mort. Par réflexe, sans réfléchir, la jeune femme leva rapidement les yeux, surprise par l'arrivée de l'animal qui avait brisé ce sentiment de plénitude. Le charme et le contact visuel était rompu. Cette alarme fut l'élément déclencheur que l'animal attendait pour se sentir en danger. C'est dans un grognement inhumain qu'il se décida à charger. Il n'en fallu pas plus à l'adolescente pour en venir à la solution de secours : détaller. Jamais elle n'avait couru aussi vite. Évitant les arbres avec une adresse surhumaine, elle ne s'autorisait aucun ralenti, aucune prudence. Satané corbeau. Elle se raccrochait à cette insulte pour ne pas céder à la peur. Elle entendait les cris de l'animal, ainsi que le bruit de sa course : il se trouvait juste derrière elle. Elle avait conscience d'un élément assez inquiétant : elle courrait vite, très vite. Mais jamais longtemps. Si elle dépassait ses limites, elle savait que son coeur lui ferait payé la note une fois arrivée. Elle n'avait qu'un espoir : que la vitesse dont elle faisait preuve lors de ses courses soit bien plus importante que celle de son attaquant. Cette idée la fit, inconsciemment, accélérer, dans la mesure du possible. C'est au bout d'une dizaine de minutes de course à peine qu'Olwhèin sentit son coeur se serrer. Grimaçant, elle se sentait tellement faible, Elle ne devait pas s'arrêter. Elle n'avait aucune envie d'offrir ses entrailles à cette bête sauvage. Cruel dilemme. Parvenant à puiser des forces grâce à l'instinct de survie, elle n'en restait pas moins essoufflée. Elle courrait toujours mais sa fatigue l’entraînait vers le sol. Se faisant, elle courrait tout en se penchant, la main sur son coeur qui, visiblement, avait envie de la mettre dans de sales draps. C'est dans cette condition, penchée, que la jeune Beitris tomba, de fines branches entremêlées autour de sa cheville. Elle était fichue. Elle aurait pu continuer à fuir avec cette douleur, mais certainement pas à se relever. Respirant comme elle le pouvait, elle fit face, toute petite, à la bête sauvage qui se dressait à quelques centimètres d'elle. Par reflexe, elle s'aida de ses bras et de ses jambes pour reculer. Mais ses tentatives étaient veines. Se dressant sur ses pattes, l'animal se trouvait à quelques centimètres de son visage. Acte de dernier espoir, la jeune victime empoigna violemment sa fine dague qui se trouvait coincée dans l'armature près de sa cuisse. Bien entendu, elle savait qu'elle ne pouvait se défendre avec cette arme. Elle ne pouvait lui servir qu'à lui faire mal, et encore. Il aurait fallu une véritable épée pour en venir à bout. Mais il était hors de question qu'elle demeure inactive face à cette créature qui avait décidé de la conduire vers la mort. Elle brandit la lame à l'aide du peu de force qui lui restait, mais un bruit fendant l'air la déconcentra, très rapidemment suivit par un hurlement de douleur poussé par la bête qui la surplombait. Une flèche profondément enfoncée au sommet du crâne, la bête poussait des cris d'agonie. La belle tourna la tête à une vitesse incroyable, faisant voler sa longue et soyeuse crinière que tant de femmes lui enviaient. Une vision la surprit : celle de son frère, à cinq mètres de là, tenant une arbalète entre ses mains, dévisageant avec fureur la créature qui était sur le point de s'attaquer à sa soeur. La bête en question poussa un hurlement glaçant, prêt à tout écraser sur son passage, mais un second coup porté lui fut fatal. La seconde flèche envoyé par le jeune homme trouva refuge dans la poitrine de l'animal, qui se mit à fuir douloureusement, ne parvenant pas vraiment à courir avec cette douleur visiblement insupportable. Olwhèin ne put savoir si les flèches avaient été capable de donner la mort au monstre ou non, dans la mesure où sa propre douleur l'avait - elle aussi - possédé. Sentant son coeur battre à folle allure, il ne lui fallut que quelques secondes pour perdre connaissance.

Sentant une main puissante se saisir de sa gorge, la jolie brune se débattait. Le rire de son agresseur ne fit que décupler sa fureur. Elle se débattit comme une forcenée, et envoya un fort coup de pied dans le ventre de l'homme qui l'avait empoigné sauvagement. Celui-ci étouffa un cri de douleur, se tenant les côtes. Olwhèin ne se fit pas prier pour s'échapper. Il faisait nuit, et le brouillard qui régnait rendait la scène encore plus angoissante. Olwhèin continua sa course, espérant le semer, mais il agrippa son mollet, acte qui la fit tomber lourdement sur le sol. Il ne fallut que quelques secondes à l'homme pour lui attraper les poignets et la plaquer durement sur le sol. Il esquivait chaque coup qu'elle tentait de porter. Aussi près fut - il, elle reconnut son visage. Se débattant une nouvelle fois, elle voulu parler, mais n'y parvint pas. Les mots ne sortaient pas de sa bouche. Elle ne vivait pas la scène, mais la subissait, tel un témoin. Essayant une nouvelle fois de gifler son agresseur, sa main voltigea dans le vide, tandis qu'elle se redressa vivement, toute essoufflée. Jetant des regards apeurés autour d'elle, Olwhèin se rendit rapidement compte qu'elle n'était plus au même endroit. Néanmoins, le lieu lui paraissait fortement familier. Ce n'est au bout de quelques secondes seulement que la jeune femme retrouva ses esprits et reconnu sa chambre à coucher. Soupirant face au rêve terriblement prenant qu'elle venait de faire, elle poussa un long soupir, fermant les yeux quelques instants, tout en passant ses mains dans ses cheveux pour rejeter sa crinière en arrière. Ce jour là était un jour comme les autres, en apparence. Une nuit tourmentée de rêves bien étranges, un réveil difficile, et une longue journée de travail qui l'attendait. Il ne lui restait plus qu'un jour avant de fêter ses vingt et un an. Elle était encore une jeune fille pour l'instant. Dans un sens, cela pouvait demeurer rassurant. Se levant de sa couche, elle s'apprêta à préparer ses affaires pour la journée. (...) Et cette journée la fut très longue. Picurière depuis ses dix-sept ans, les journées se ressemblaient plus ou moins. Affligeant pour une personne comme elle. Mais ce métier était largement supportable, d'autant plus qu'elle tenait une petite boutique afin que les clients fidèles puissent profiter de son art. Encore un peu secouée par son rêve qui lui avait fait ressentir une notion d'impuissance - sentiment abjecte qu'elle supportait le moins au monde - elle fut relativement distraite durant la journée, ce qui ne lui ressemblait guère. Il serait plus juste de dire que ce défaut appartenait à son frère jumeau. Finissant de coudre une tunique qui lui avait été commandé, installée dans la salle réservée à son travail, la belle ne tarda pas à entendre le bruit de la porte de la boutique. Une fois levée de sa chaise, elle s'empressa de venir à l'entrée, mais resta figée lorsqu'elle fit face à l'homme auquel elle avait été confronté cette nuit. Hermance Iain Iomhair. Elle ne connaissait très bien, depuis deux années environ. Autrement dit, depuis l'ouverture de sa boutique. C'était un client plutôt fidèle. Une fidélité dont elle ne se réjouissait pas. Cet homme ne lui avait jamais donné forte impression. Son instinct demeurait toujours aux aguets lorsqu'il était dans les parages. Or, son instinct ne l'avait jamais trahi, et elle avait apprit à lui faire confiance aveuglement. Ses coups d'oeil, ses manies, tout en lui inspirait à la méfiance. Et il serait sincère de dire que le rêve de cette nuit contribuait à cette mauvaise impression. Pourtant, ce n'était qu'un rêve ... Oui, mais voilà. Elle ne se sentait pas à l'aise pour autant. Toutefois, il s'agissait là du travail, et elle ne pouvait se permettre de se comporter de manière différentes pour cause de "mauvaise impression". C'était tout bonnement ridicule. S'avançant vers le comptoir en bois, elle demanda : « Bonjour monsieur Iomhair ... Vous désirez ? » Faire son travail ne l'obligeait pas pour autant à cancaner pendant toute l'après-midi avec les clients dont elle n'avait pas confiance. Autant aller droit au but. Il lui jeta un de ses regards qu'elle ne supportait pas et dont elle se méfiait. Elle continuait de l'observer en attendant sa réponse. Un homme d'une bonne tête de plus qu'elle, aux cheveux raides et dorés lui arrivant juste au dessus des épaules, la peau claire, des yeux noisettes clairs et un franc sourire. Il devait en être à sa vingt-cinquième année. Dans tous les cas, il n'avait pas plus de trente ans, et il avait l'air sûr de son charme. Et dans un sens, il pouvait. Il n'était pas vraiment laid à regarder, et elle était certaine que les demoiselles du village se retournaient sur son passage. Mais pas elle. « Bien le bonjour, mademoiselle. Ne fait - il pas un temps merveilleux, aujourd'hui ? » tandis qu'elle était au comptoir, elle en profita pour jeter un coup d'oeil sur un parchemin destiné aux pré-commandes qu'elle devait fournir dans la journée. Elle fit un bref sourire forcé en jetant un regard à l'homme en face d'elle tout en répondant d'une manière distraite : : « Très certainement, monsieur » La réponse fut rapide : « Ne m’appelez pas monsieur, depuis que l'on se connait. Appelez moi Hermance » la corrigea t-il. : « Très bien. Hermance. Avez vous une commande à me faire passer ? » Une mèche lui tomba devant les yeux, elle la remit rapidement en place d'un geste adroit. Hâte d'en finir. « En effet, j'aurai besoin d'une cape pourpre, assez rapidemment ... » La belle hocha doucement la tête avant de déclarer : : « Je n'ai pas énormément de travail ces jours ci, vous pourrez la récupérer après - demain, en fin d'après - midi. Elle sera prête. » Il s'accouda au comptoir, son visage à quelques centimètres, avant de faire un clin d'oeil tout en s'exclamant lentement : « Efficace, comme toujours, Olwhèin, c'est pour ça que je vous aime ! Je reviendrai vous voir très très bientôt dans ces cas là ... » Encore une phrase à double sens, encore un sourire malveillant. Elle souria brièvement avant de déclarer : « Passez une bonne journée » Retournant dans son antre, la jeune Beitris reprit son travail là où elle l'avait laissé. Sa concentration fut tel qu'il faisait déjà nuit lorsqu'elle se rendit compte qu'il était temps de rentrer. Enfilant sa cape brune par dessus sa robe, elle rabattit le capuchon sur sa longue chevelure avant de fermer sa boutique.
Les rues n'étaient pas toujours bien fréquentées à ces heures là, mais elle n'avait jamais eu de réel problème. Son superbe regard se posa sur le ciel. Le soleil était couché depuis bien longtemps, son frère allait sûrement lui réserver un sermon pour son retour. Ou peut-être était-il même sur le chemin pour venir la chercher et vérifier que tout allait bien. Il était protecteur, bien trop. Un trait de caractère qu'Olwhèin avait du mal à supporter, la plupart du temps, mais elle ne lui en tenait jamais rigueur. Elle savait bien trop ce que c'était de protéger un être cher. Elle tâcha d’accélérer ses pas, sans pour autant paraître pressée. C'est au bout d'une ruelle adjacente qu'elle remarqua une ombre. Lubie de son esprit, sans aucun doute. Les peurs et les craintes pouvaient parfois devenir de véritables hallucinations. Sans se préoccuper de ce qu'elle venait de voir, la jeune couturière poursuivit sa route. En tout cas, c'est ce qu'elle cherchait à faire lorsqu'une main brutale lui attrapa vivement l'épaule, l'obligeant à se retourner dans un sursaut de surprise. « C'est qu'elle rentre tard, la petite dame ! » Levant le regard vers l'homme qui la retenait, elle remarqua des cheveux blonds virant au blanc, et de grands yeux familiers. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour reconnaître Hermance. Elle répondit alors, d'un ton légèrement sec : « Elle n'est pas la seule, visiblement ... » Olwhèin essaya de se dégager, mais il la maintenait si fort qu'elle sentait la pression de ses doigts ancrés dans sa chair. Elle grimaça tout en essayant de libérer son bras : « Lachez moi, vous me faites mal » Contre toute attente, il lâcha son emprise, sans pour autant sans détacher. Il reprit la parole en regardant la jeune femme : « Pourquoi donc ? Voulez vous partir ? Voilà qui est bien dommage ... » Dans la nuit noire, parvenant à garder son calme le plus total, la belle courageuse n'en restait pas moins colérique : « Si je ne m'abuse, il me simple bien vous avoir dit de revenir après demain. Ainsi, vous allez me lâcher, rentrer tranquillement chez vous, et vous en tenir au rendez vous de base. » Elle le fusilla du regard. Une fois qu'il eut lâché son bras, elle reprit sa route en espérant qu'ils allaient en rester là. Mais un bras surgit rapidement, se posa contre la paroi du mur au côté duquel elle marchait, geste qui lui barrait la route. Le visage du grand blond se pencha légèrement pour être à la hauteur de la demoiselle : « Et si je n'ai pas envie ? » une phrase accompagnée d'un rictus peu agréable. De nature impulsive, la jolie brune le fusilla du regard avant de déclarer : « Ce n'est pas le moment ni le lieu pour plaisanter. Laissez moi passer, immédiatement ! » L'homme la dévisagea : « Ha. Parce que tu te crois en position de force, là, tout de suite ? Tu crois sincèremment pouvoir me résister ? Je t'en prie ... Ne fais pas ta mijorée, faut pas monter sur ses grands chevaux comme ça, il n'y a aucune raison » Voyant qu'il se rapprochait, la belle commença à ressentir la menace. Elle ne se fit pas prier pour le repousser à l'aide de ses bras : « Mais pour qui vous vous prenez, bon sang ? Je vous le répète une dernière fois : laissez moi passer ! » Tandis qu'elle perdait patience, lui, commençait à perdre sa douceur. Son ton se fit plus menaçant, agressif : « Tu n'as aucun ordre à me donner, tu n'es qu'une femme, une putain » Toujours plus énervé, l'agresseur la gifla. Olwhèin s'autorisa alors à s'inquiéter, tout se passa très vite. Commençant à se débattre tandis qu'il lui maintenait les poignets, elle remarqua très rapidement que les forces n'étaient pas équitables, loin de là, et qu'elle n'avait pas la moindre chance. Elle savait très bien se défendre toute seule en règle générale, mais il avait une force de tous les diables. Impulsive, se défendant comme elle le pouvait, elle le frappa violemment sur la nuque, espérant provoquer un malaise. Visiblement, le coup ne fut pas assez fort, puisqu'il ne parvint qu'à redoubler la colère de son agresseur, ce dernier la faisant reculer à une vitesse incroyable jusqu'à la plaquer contre le mur.
Tandis qu'elle se débattait, frappant parfois des coups remarquables, son intuition se confirmait : elle ne faisait pas le poids. Pourtant, il pouvait y avoir des moyens. La ruse, peut-être. Mais entre la surprise et, il fallait bien l'avouer, la peur, elle n'était plus bonne à grand chose. Tandis qu'une main de l'agresseur entourait son cou, la lueur lubrique qu'elle remarqua dans ses yeux lui donna encore plus de rage qu'elle n'en avait déjà. Elle n'hésita pas à multiplier les efforts pour se battre, mais l'air lui manquait au fur et à mesure que la main se refermait sur sa gorge. Elle entendit alors le rire de l'abject, aussi clair que de l'eau de roche, aussi diabolique que le diable en personne. Ce rire avait deux impacts sur elle. Le premier ? La rage et l'impulsivité la gagnait encore plus lorsqu'elle entendait son agresseur se délectait ouvertement de l'impuissance dont elle faisait preuve face à cette attaque, surtout qu'elle n'avait, à présent, plus aucun doute quant à la nature de cette agression ... Le second ? La prise de conscience. Les yeux écarquillés, un souvenir éclata soudain dans son esprit. Ce rire, elle l'avait déjà entendu. Cette nuit, dans son rêve soit disant dérisoire. Tout concordait : L'agresseur, l'agression, le lieu, les mouvements, sa défense, le rire ... Jusqu'aux moindres détails. La peur et l'instinct de survie lui avaient fait oublié ce rêve - visiblement prémonitoire -. La solution la frappa aussi vite que le souvenir, c'est ainsi que la belle brune plia son genoux droit et l'envoya valser - d'un geste expert et adroit - contre son agresseur qui fut projeté par la force du choc. Tandis qu'il tombait sur le dos dans un bruit sourd, Olwhèin commença à courir, mais fut stoppé par une forte pression sur sa jambe. Il venait de l'attraper par le pied. Par la force des choses, elle tomba violemment, mais roula pour se retrouver sur le dos et, ainsi, faire une manœuvre rapide pour se remettre debout. A peine l'avait-elle fait que l'homme lui porta un coup au visage qu'elle évita de justesse. Elle lui rendit l'appareil en frappant, de son genoux, à l'endroit particulièrement chéri de tous les hommes : leur virilité. Dans un lourd soupir de douleur, l'homme tomba à genoux, laissant sa victime se délectait d'un pareil spectacle. Intrépide et fière de la tournure que prenait les choses, elle déclara : « La prochaine fois que vous voudrez commettre un acte aussi stupide et pathétique, essayez donc de vous rappeler de la douleur que vous êtes en train de ressentir ... Vous apprendrez, ainsi, à vous servir à bon escient de ce qui vous définit comme étant un homme, bien que vous n'en ayez ni le courage ni la carrure ! » Son agresseur, toujours à genoux, plié, exprimait sa douleur à l'aide de gémissements éttouffés. Il releva la tête pour lui lancer un regard haineux, diabolique et angoissant : « sale ribaude, tu vas le regretter ... » Suite à cette insulte et à ces paroles, elle le frappa une nouvelle fois au visage, du revers de la main droite. Le coup fut si fort qu'il en tomba sur le dos mais, manque de chance, il eut le temps d'attraper un morceau de la cape de la belle femme avant de s'élancer dans sa chute. A présent allongée sur son agresseur, Olwhèin était dégoûtée par cette position dont Hermance profita. D'un vif mouvement, il échangea les rôles et la plaqua au sol. L'air triomphant qu'il affichait exprimait son besoin de pouvoir, de puissance, et de vengeance face aux paroles fraîchement prononcées de sa victime. N'arrivant pas à lui porter de coup, elle se sentait prise au piège, mais elle eut la lucidité de se souvenir du couteau qui était attachée à sa cuisse. Elle voulu l'attraper, mais n'y parvint pas. C'est alors, dans cette position de faiblesse qu'elle entendit un cri qui lui semblait venir d'un autre monde tellement elle avait été habitué à être seule face à son agresseur : « OLWHEIN ! » Elle connaissait si bien ce timbre de voix. Olwhèin se sentit immédiatement soulagée en sachant que son frère arrivait, et qu'il intervenait vraiment au bon moment. Bien que la réputation de l'intégrité de son courage et de son impulsivité ne soit plus à faire, il fallait bien avouer à ce moment là que la rebelle se trouvait aux bords de la panique. La voix de son cher frère déstabilisa l'agresseur, et la jeune Beitris en profita. Pliant vivement sa jambe, son genoux donna un coup dans les côtes d' Hermance qui lâcha par surprise la taille et la cuisse de la petite brune. En un éclair, elle attrapa avec agilité son arme et la retira sauvagement de son fourreau. Se redressant comme elle le pouvait, elle ne put toutefois se redresser, sentant déjà son coeur lui faire faillite. Elle était à présent à genoux, dague en main. Durant toute sa manœuvre qui ne dura que trois secondes, un temps infiniment court que le stress avait triplé, elle avait entendu les pas de son frère qui courrait à en perdre haleine jusqu'à la scène qui était en train de se dérouler. L'agresseur, main sur sa côte sans doute brisée, se releva avec mal, s'installant lui aussi à genoux, face à la jeune femme. Il se retourna néanmoins vers le garçon qui venait à son secours et lui hurla : « Tu t'approches encore, je t'égorge ! » Il ne plaisantait pas, l'instinct de la demoiselle en détresse le sentait. Ses intentions étaient aussi claires que celles qu'il avait eu lorsqu'il avait plaqué la jeune femme contre le mur et qu'il avait glissé ses mains le long de ses cuisses, au début de l'agression. Il se retourna vivement, à nouveau, vers Olwhèin, visiblement sur le point d'attraper le couteau qu'elle tenait fermement dans sa main gauche. Il n'eut pas le temps de mettre en oeuvre ses projets car, soudain, la colère de la belle dépassa l'entendement. Possédée par l'instinct de survie et par un puissant sentiment de vengeance, elle ne se contrôlait plus. Elle ne parvenait pas à quitter l'agresseur du regard. La rage contrôlait son corps, son esprit, son âme. La simple menace qu'il venait de proférer à son frère n'avait été que l'élément déclencheur qui mener la colère, qu'elle avait éprouvé face à sa propre agression, à son a paroxysme. La puissance des yeux de Gaëlle était irrévocable, posés sur l'homme abject. Elle était passionnée par la magie. Les rituels celtiques. Et cette fois ci, elle était bien décidée à appliquer son savoir. Marmonant des paroles incompréhensibles, des mots d'un langage ancien disparu, elle fixa son agresseur de ses yeux flambyants, ces derniers avaient l'air d'aspirer toute forme de vie hors de son corps. Il semblait à bout de souffle, étranglé par des mains invisibles, étouffé par le regard de sa rivale. Perdant totalement le contrôle d'elle-même, ses yeux s'ancrèrent dans ceux d'Hermance. Ce regard la dégoûtait à présent suite à la peur qu'elle avait ressentie face à ce que l’homme avait prévu de lui faire subir. La simple idée que cet homme puisse tuer ou blesser son frère était l'image de trop. Des formes blanches, abstraites, dansèrent autour de la scène, autour d'Olwhein et d'Hermance. La jeune femme continuait à proférer ses incantations. Depuis quelques secondes déjà, sa main gauche tenait si fermement le couteau que ses jointures avaient blanchis. Le geste fut presque facile. Les yeux horifiés d'Hermance exprimèrent sa douleur, puis il s'évanouit, en arrière, sur le sol, laissant à découvert la main ensanglantée d'Olwhèin, tenant le couteau tout aussi rougeâtre. Plusieurs secondes de silence marquèrent la mort de l'agresseur. Sortant de la transe que sa colère avait provoqué, la belle leva brusquement les yeux vers son frère jumeau, qui la fixait de ses grands yeux bleus. Elle était en train de réaliser ce qu'elle venait de faire. Elle s'était toujours faite à l'idée de tuer une personne si cela en devenait nécessaire, c'est bien pour cette raison qu'elle avait toujours voulu garder une arme de protection sur elle. Mais tuer de sang froid, sans hésitation comme elle venait de le faire, emportée par sa haine et sa magie, en pratique, c'était autre chose. Le pire ne venait pas de ça. Elle était surtout terrorisée par sa propre colère, colère qui l'avait, pendant quelques secondes, posséder corps et âme. Olwhèin était connue pour être impulsive, mais jamais jusque là. Le long silence laissa place à l'angoisse et à la panique de la jeune femme. Lâchant son couteau comme si elle venait de se rendre compte qu'elle en tenait un, elle lâcha un : « oh mon dieu ... » Son frère sentit alors la panique qui grandissait en elle. Cela avait toujours été ainsi entre eux. Relation fusionnelle, gémellaire. La complicité fusionnelle. Le yin et le yang. Tête pensante du duo, il garda son calme, s'approcha en une vitesse époustouflante, et s'agenouilla à côté de sa soeur : « Olhwèin, ce n'est pas ta faute, tu m'entends ? » Non, elle ne l'entendait pas. Ses yeux turquoises étaient posés sur le corps de l'homme qu'elle venait d'abattre. Elle tremblait. Elle se leva rapidement, comme pour s'éloigner de l'évidence qui trônait sous ses yeux. Elle fit les milles pas, comme pour parvenir à distiller cette peur de son esprit. Son frère se releva aussitôt, marchant vers elle, et l'attrapant violemment par les épaules pour que le regard de sa soeur se plante dans le sien : « OLWHEIN ! Ecoute moi ! Tu n'avais pas le choix ! Calme toi ! » Il tentait de la rassurer, mais l'esprit de la belle semblait être à des kilomètres. Continuant de trembler, elle regardait son frère sans le voir : « Je l'ai tué, Alistair ... J'aurai pu l'éviter ... Je n'étais pas obligée ... » Son frère parla à nouveau, mais son esprit était bien trop loin, et ses paroles chevauchèrent les siennes : « Mais j'avais peur ... Peur pour toi, et je ne sais pas je ... J'ai pas réfléchi ... » Son frère posa sa main sur la joue de sa soeur avec ardeur, l'autre sur ses longs cheveux, et l'ordonna sans rien dire de le regarder dans les yeux. Elle releva alors son regard et il détacha chacun de ses mots avec une assurance désarmante qu'elle ne lui connaissait pas : « Je suis là, Olwhèin. Je suis là. Il n'y avait que nous. Ce n'était pas toi qui l'a tué, c'est ton instinct de survie. Tu nous as sauvé, Gaëlle. Sauvé ! Calme toi. Tu étais obligée, Olwhèin, obligée, tu m'entends ? Calme moi, je t'en supplie ... Je ferai en sorte que rien ne soit arrivé. Il ne s'est rien passé, tu m'entends ? Cet homme n'était qu'une ordure, tu as fait ce que tu devais faire. Il n'avait aucun droit de poser la main sur toi, absolument aucun droit, tu l'as empêché, tu t'es défendu. » La jeune femme se calma légèrement, apaisée par le regard pénétrant de son jumeau. Ce dernier la prit alors dans les bras, la serrant avec intensité avant de répéter :« Je ferai en sorte que ce ne soit jamais arrivé » Cette phrase sonnait comme une promesse. Et il avait tenu parole. Ce meurtre était derrière eux, et bien qu'il soit encore le sujet principal de nombreux cauchemars de la belle, jamais il ne fut découvert.

« Que vous a t-on fait pour vous rendre si méfiante ? » Voilà une question bien importune. Décidemment, cet homme était une véritable plaie. La belle continuait sa route, marchant auprès de son cheval qui suivait les enjambées de sa maitresse. Les longs cheveux noirs d'Olwhèin étaient soulevés par la brise. Elle se retourna vivement pour déclarer avec véracité : « D'une part, je ne suis pas méfiante. Uniquement désireuse à l'idée d'être seule et non opportunée. Et, d'autre part, imaginons que ce fut le cas, mes manières de me comporter ne vous concernent absolument pas et ne regarde que moi. » Voilà qui était dit. Elle poursuivit sa route, offrant une douce caresse à sa monture. Mais cet homme était tétûe. Presque autant qu'elle. C'est pourquoi il se mit à lui parler, enchainant les mots d'une vitesse désarmante. Agacée, la belle déclara avec ironie : « Vous m'en direz tant. » Comment pouvait-il tant insister ? Le jeune homme ne put empêcher un rire, clair et attachant, avant de dépasser Olwhèin et de s'imposait à elle : « Je m'appelle Jaime ». Obligée de s'arrêter. La jeune femme le fixa avec agacement, et, suite à ses présentations qu'elle n'avait pas voulu, elle répondit : « Soit. Et bien, vous êtes insuportable, Jaime ! » Jaime. Elle ne se doutait sûrement pas que cet homme, agaçant mais néanmoins attachant, allait changer sa vie et sa personne. Il lui offrit un sourire doux et sincère avant de répondre serainement : « Charmé, également » Face à ce caractère si agréable et attachant, Olwhèin ne put s'empêcher de sourire. Un sourire incontrôlable et tellement sincère, qu'ils ne pouvaient présager que de bonnes choses pour la suite.