Il y avait un seul trésor au sein de mon château qui valait plus que toute autre chose sur cette Terre ; Aslak. Il était mon fils, le sang de mon sang, la chair de ma chair et tout ce qui me restait de ma défunte épousée. Reagan, je l'avais aimée, peut-être plus que les deux autres car je l'avais choisie, de mon initiative, par mon cœur. Mon garçon était une toute petite chose, fragile et encore innocente et son regard enfantin me rappelait hélas trop souvent ceux qui auraient aujourd'hui pu être son frère, sa sœur. Qu'ils me manquaient, à l'instar de leur mère Isobel. L'homme qui en était venu à bout s'était donné la mort m'avait-on conté ; obligé de massacrer ma propre famille sous la menace de perdre la sienne. Pouvais-je seulement lui en vouloir ? Qui était réellement le fautif dans cette terrible tragédie ? J'avais beau faire le tour de la question, le même nom me revenait à l'esprit, amèrement ; Sven Menzies. Mon propre père, celui à qui je devais la vie ! Etait-ce donc seulement imaginable ? La folie l'avait atteint de plein fouet, grignotant sa conscience et ses mœurs, le transformant en un infâme monstre. L'image de Mor'Du me vint alors à l'esprit sauf que mon géniteur était resté physiquement un homme. Quelle histoire était donc la pire ? Ah, je n'en avais que faire. La mienne me semblait terrible et je ne cessais d'en vouloir au monde mais jamais aux dieux ; ce sont les hommes qui jouent avec leur destin et ils ne peuvent que s'en mordre les doigts. Je n'étais pas qu'une simple victime ; aujourd'hui je me dressais fièrement à la tête du clan Menzies, de mon clan, de celui qui m'avait finalement accepté comme chef, à force de me voir me décarcasser pour eux. Je leur avais donné le choix ; s'ils ne désiraient plus de moi, de celui qu'ils pensaient être un assassin, un traître, eh bien qu'il en soit ainsi. Mais même si ces guerriers sont réputés pour être violents, sauvages et barbares, ils possèdent un tant soit peu de scrupule et m'avaient accordé une chance qu'ils ne regrettaient pas aujourd'hui de m'avoir octroyée.

En ce jour, je partais vers les côtes. Mes hommes m'avaient pris de court durant le dernier conseil que nous avions eu en pointant du doigt un sujet qui me laissa septique ; le mariage. Je ne pouvais rester veuf, ça ne leur plaisait pas. Maintenant que mon fils avait atteint un an d'âge, il leur paraissait clair que j'avais terminé mon deuil et qu'une nouvelle femme était d'actualité. Mis au pied du mur, je devais accepter leur décision, sans même entreprendre de m'y opposer ; la voix du peuple avait parlé et je me devais de les écouter si je souhaitais les garder avec moi. C'était ainsi. Un chef de clan se doit de s'effacer lui-même afin de devenir ses hommes, d'être à leur écoute et de ne pas les décevoir. Car je savais que celui qui réveille la déception dans le cœur des Menzies est un homme mort ; mes gens ne sont pas réputés pour être tendre. Ainsi, je me dirigeais vers les clans voisins dont une fille était encore célibataire, comptant sur une alliance quelconque me promettant un peu de sûreté dans cette guerre. Il me semblait pourtant qu'il y avait d'autres préoccupations que celle-ci ; par exemple, me charger de MacIntosh. J'ignorais toujours quoi penser de lui et cela me turlupinait ; tyran ou allié ? Dingwall ne semblait toujours pas désirer se mouvoir, paraissant presque se moquer de nous. Mais aujourd'hui était également un jour tout à fait particulier. Alors que je me rendais vers l'extérieur, j'aperçus au milieu du couloir une toute petite silhouette vacillant quelques pas avant de se rattraper à un meuble. Un rictus large comme je n'en avais plus eu depuis longtemps vint illuminer mon visage avant que je ne m’accroupisse, hélant le bambin et écartant doucement les bras, l'incitant à venir vers moi. « Viens Aslak, approche mon fils.» Le petit, heureux d'apercevoir mes traits lui semblant familiers prit l'initiative de me rejoindre, de ses pas peu assurés mais vaillants. Une fois qu'il fut à mes abords, je vins agripper son minuscule corps, riant de bon cœur et sentant en mon torse une fierté naître vivement.  « Serait-ce déjà un homme que j'ai devant moi ? » J'eus comme toute réponse une main baladeuse venant fermement tirer l'une de mes mèches cheveux, ce qui me fit grimacer vivement.  « Quelle poigne mon grand, si je ne m'arrache pas encore les cheveux, tu le feras à ma place. » Percevant très certainement la pointe d'amusant se trouvant dans ma voix, l'enfant se mit à rire joyeusement avant de venir se coller au creux de mon cou. Je répondis à ce geste en le serrant tout contre moi, entreprenant de chercher la personne étant censée le surveiller. Sa nourrice, profondément gênée d'observer que j'avais trouvé mon fils sans surveillance se confondit en excuse avant que je ne la rassure paisiblement. Aslak marchait, cette nouvelle était suffisante pour me faire oublier les maux et les fautes de tout mon peuple ! Elle m'accorda un timide sourire en remarquant mon euphorie soudaine. Je dus tout de même lui rendre l'enfant à contre cœur ; le devoir m'appelait. L'embrassant sur le front, j'affichai une petite mine triste en remarquant que mon fils semblait déçu de me voir parti si vite.  « Je reviendrai, promptement. Sois sage. »

Mes hommes furent surpris de voir un chef absolument radieux, d'humeur chantante même, percevant un petit fredonnement gai de ma part. Ma brève explication leur fit rapidement comprendre mon soudain changement d'humeur, m'ayant peu avant observé entrain de ruminer milles idées noires ; je n'en avais que faire de ces histoires de mariage ! J'avais un héritier et c'était tout ce que je jugeais nécessaire. Mais il en était autrement. Ma place de laird avait hélas trop souvent le don de m'étouffer, les responsabilités qu'elle engendrait me semblant régulièrement bien trop complexes et lourdes à supporter. Mais c'était cela diriger un clan ; être son pilier principal et ne jamais - ô grand jamais - céder. Ce fut donc avec une certaine légèreté malgré le froid hivernal venant nous englober que nous partîmes, vaillants, à la recherche ultime d'une demoiselle à marier - l'idée me parut, à l'instant, comme une quête à accomplir, réveillant mon âme d'aventurier rêveur. Si seulement j'avais su ce qui m'attendait sur les côtes ! Ah, plus qu'une demoiselle à épouser, au-delà de tout ce que l'on pouvait s'imaginer, même dans les plus sombres abysses de nos âmes.

Une fois arrivée au château des Campbell, surplombant la plage et offrant ainsi une sublime vue, bien que grisâtre à cause de la saison actuelle, je fus surpris d'être reçu par un laird en panique ; sa fille - celle pour qui j'aurais pu être prétendant, ce qui eut le don de me faire soupirer, las que j'étais en apprenant cette nouvelle - avait disparu. Je crus d'abord à une mauvaise plaisanterie mais, sentant l'homme insistant et pris au dépourvus, je compris que ses paroles n'étaient que vérité. Redressant mon échine, scrutant l'horizon au loin, j'écoutais attentivement les nombreuses indications qu'il me donnait entre deux plaintes désespérées ; les rumeurs allaient bon train pour l'instant et tous parlaient d'une terrible malédiction rôdant sur l'entièreté du pays. Il s'étonna d'être soudainement coupé dans ses déblatérations, percevant ma voix grave et lourde de sens à l'instant « Qu'y a-t-il sur vos plages ? » La bouche bée, il mit quelques instants à se positionner à côté de moi afin de pouvoir observer les côtes sous le même angle que ma personne. Le sable était rougi, une traînée sanguinolente y étant balayée par les vagues fougueuses. « M'avez-vous entendu ? » insistai-je alors, devant son regard empli d'incompréhension et ses lèvres soudainement tremblantes. J'en déduis que cela était anormal, mon regard se faisant alors perçant ; il fallait tirer cela au clair.

Obligeant le laird terrifié à me suivre ainsi que quelques uns de ses hommes et la majorité des miens, je restai prudent en approchant de la plage dont l'étrange couleur me laissait septique. Un mauvais présage nous guettait ; il nous menaçait, je le sentais, il se trouvait là, à quelques mètres de moi. « Là-bas ! » s'écria un homme, pointant du doigt une main sortant de l'eau, ce qui eut le don de faire se lever une vague d'émois dans le petit attroupement. Je restai de marbre, scrutant l'horizon, méfiant. Je relevai lentement le menton, inspirant fort, quelques mèches de ma crinière blonde venant fouetter mon visage ; le vent se levait. Les nuages se chargeaient, le ciel s’encombrait d'une noirceur irréelle. « Je connais bien les légendes. » lâchai-je d'une voix rauque, appréhendant le pire. Que cette scène était terrifiante ! Si je ne me trompais pas, il serait très certainement plus sûr de déguerpir à l'instant et de nous préparer au pire. Le chef du clan Campbell, ainsi que la plus part des silhouettes m'accompagnant sur cette plage me dévisagèrent, attendant quelque chose de plus, quelque chose qu'ils pourraient se mettre sous la dent pour se rassurer ou mieux s'effrayer. « Il y a une sorcière sur vos côtes. » lâchai-je, presque sereinement alors que l'entièreté de la foule s'indignaient, pestaient ou murmuraient. Etais-je seulement fou ? Ah, c'était un autre problème auquel je ne pouvais répondre moi-même. Cependant, je n'étais pas un menteur et ce que j'avançais me semblait aussi authentique qu'affreux. Percevant un certain orage populaire gronder en mon dos - même Brynjolf ne me suivait pas sur ce coup-là, croyant encore à un de mes délires de rêveur -, je fus presque heureux en entendant le silence se faire parmi eux quand une espèce de bouillonnement se matérialisa parmi l'écume. Je reculai instinctivement ; ce n'était pas n'importe quelle démone qui avait pris ses aises sur nos côtes, non, son nom vint glisser entre mes lippes, presque sans que j'en sois conscient. « Doideag »

Sorcière. En apercevant cet éclat rouge, cette tignasse sanglante, ce visage pâle, mes muscles se crispèrent ; il n'y avait pas une unique démone sur cette plage, non, une de ses congénères venait de faire apparition. Cette silhouette féminine dont la crinière était bizarrement colorée d'une couleur aussi inhabituelle que criarde était là, dans mon dos et sans la main rassurante de Brynjolf qui vint alors se poser sur mon épaule, j'aurais assurément imploser ; mais pour quelle raison pouvait-elle bien se trouver là ? Erskine pensait-il utile de me suivre, d'avoir le chef des Menzies à l’œil, celui qui, doucement mais surement, commençait à perdre patience ? Je fronçai légèrement les sourcils ; nos soucis étaient actuellement tout autre, bien loin de nos querelles, bien loin de la haine aiguë que je nourrissais envers cette ensorceleuse pourpre. Ce n'était pas l'instant de régler ces comptes-là.

Mais aussi tendue que pouvait se révéler notre relation, la demoiselle me donna raison, ce qui me fit l'écouter attentivement. Cependant, tout mon être me hurlait de me méfier d'elle, allant même jusqu'à la soupçonner d'être mêlée à la disparition de la damoiselle Campbell, avant de chasser cette idée de mon esprit ; cela était ridicule. Si elle avait pris la peine de ne pas me cracher son venin à la figure ni même sur mes armes, c'est qu'elle était encline à faire un effort dans pareille situation et il fallait que je me montre aussi conciliant ; ainsi, je me retins de toute remarque piquante, me contentant de lui adresser un regard en coin. Mais sa réflexion me laissait dubitatif ; fort bien, du feu dans l'eau ? « Etes-vous entrain de dire qu'il faudrait embraser la mer ? » demandais-je, non sans une petite pointe d'ironie au fond de la voix. Cependant, un appel, comme venu des profondeurs de l'eau passa sous silence les quelques ricanements que ma réplique avaient fait naître. « Noyez-vous, noyez-vous ! Tout est tellement plus beau sous l'eau ! Noyez-vous, noyez-vous ! » Dans un même geste abasourdi, la foule s'étant formée sur la plage recula précipitamment. Etait-ce seulement possible ? Me vint alors à l'esprit cette phrase qu'un certain MacGuffin avait un jour prononcé, celle que le suzerain des Lowlands m'avait lui-même répétée "Une légende est une ligne qui, partie d'une vérité, revient à celle-ci après avoir fait le tour du ciel." Cette phrase, pour laquelle j'avais développée une certaine affection me sembla en cet instant encore plus vraie que je ne l'avais pensé. Je déglutis, scrutant les violentes vagues des yeux, sentant mon pouls s'accélérer ; il fallait agir. Echangeant un regard avec mes hommes et le laird Campbell, dont la pâleur avait atteint des sommets, craignant terriblement pour sa fille, je posai finalement mes pupilles cerclées d'azur sur la femme aux cheveux rouges.  « Vous semblez mieux informée sur cette démone que nous tous ici et quoiqu'il se passe, vos conseils pourraient se montrer judicieux. » Toujours parler avec précaution ; c'était un principe à ne pas exclure, en aucun cas, surtout devant tant de personnes devant soi. Pouvant observer le désarrois du laird de ces terres, je redressai l'échine, décidant que pour vaincre cette force de la nature, ce démon des entrailles de l'océan, il leur faudrait un chef, ou tout du moins, quelqu'un à suivre. Et s'il fallait qu'en ce jour, j'endosse ce rôle, et bien, j'allais le faire ; raclant la gorge, apaisant les murmures s'étant élevés, je m'adressai à la foule entière, d'une voix forte et sûre ; il était hors de question que je laisse une quelconque menace planer au-dessus du crâne des gens des Eastern Highlands.  « Paniquer ne sert à rien ; il faut agir ! Eloignez femmes et enfants des plages, interdisez en l'accès et allumez toutes les torches que vous trouverez. » « Et ensuite ? » rétorqua un homme, visiblement peu convaincu de mes dires, me dévisageant avant de se tourner vers la femme aux cheveux rouges, l'observant d'un air peu convaincu.  « Seul le destin nous dira quoi faire. » répondis-je en accordant aux cieux un regard empli de questions ; que pouvions-nous bien faire en tant que simples hommes ? Les dieux seraient-ils à nos côtés ? Au du moins, parmi les miens, les Menzies qui leur restaient fidèles ? Peu importait, avec ou sans bénédiction divine, il faudrait rester forts et vaillants, même devant tout ce sang, même face à cette voix noyée, même devant tous les secrets inexplicables de notre mystérieux monde.

Etait-ce vraiment là une Doideag qui nous narguait ou un simple concours de circonstances qui nous poussait à croire une telle chose ? Ayant depuis toujours cru en toutes sortes de légendes, des plus farfelues aux plus plausibles, je ne me posai pas longtemps cette question ; sorcière ou pas, de toute manière, un danger rôdait sur ces plages. Et pour réussir à lutter contre ce dernier, il faudrait accepter l'aide de tout le monde, y compris une sorcière aux cheveux rouges ayant la particularité de ne pas supporter mes armes autant que mes intentions militaires. Depuis l'instant où le laird Erskine avait eu l'audace de rebrousser chemin quant à ses engagements, je l'avais soupçonnée, cette damoiselle aux yeux similaires à un profond loch. Mais l'heure n'était pas aux règlements de compte.

Quand Irvette s'approcha de mon être afin d'échanger quelques mots avec moi, je fronçai d'abord les sourcils mais pris tout de même l'initiative de l'écouter attentivement. Ce peuple m'avait suivi, certes après un instant d'hésitation mais il ne lui fallut pas longtemps avant de répondre à mon appel. S'il fallait que le mène à nouveau, je le ferai, tel un guide, tel un chef. « Mes propres hommes sont dévoués, ceux du laird Campbell semblent perdus. S'il faut les guider à nouveau, je le ferai. » Mon regard se fut plus perçant sur l'étendue de sable pourpre tandis que la dame continuait de parler, endurcissant mes traits où une certaine inquiétude vint lentement s'immiscer. « Si votre intervention peut se révéler utile pour débarrasser ces côtes de cette menace, vous pouvez vous en remettre à moi. » J'acquiesçai mes propres paroles, qui m'avaient parues lourdes de sens et de promesses ; s'il fallait que je suive cette femme que je considérais être une sorcière afin de chasser celle hantant ces eaux, je me devais de le faire. Protéger l'ensemble du peuple des Eastern Highlands me semblait être un devoir s'insinuant naturellement dans les obligations d'un laird de ces terres. Compte tenu de l'état du laird Campbell, j'étais tenu d'être cet homme ; celui qui mènerait ce peuple vers la protection qu'il méritait.

Puis il y eut ces exclamations, ces regards rivés au milieu des vagues, cette silhouette venue d'un autre monde que le nôtre, ce corps fabuleux ayant harponné nos yeux. Sa beauté était irréelle, à croire qu'elle n'était qu'un mirage. Mais cet être fantastique ondulait bel et bien parmi les remous de la mer se faisant moins violents, à la manière du vent. Son regard se levant vers les flammes me fit doucement déglutir ; oh, elle ne sembla pas apprécier. Quelques pas tentèrent de m'écarter davantage de l'eau mais cette créature vint caresser mon âme d'homme d'un gratifiant sourire qui eut le don profond de me troubler. L'ensorceleuse sorcière des eaux. Je sentis sur mon être fondre le regard de Brynjolf qui semblait lui aussi désarçonné avant de percevoir sa main se poser doucement sur mon épaule. « Baldwin ?»  Mais je ne l'entendis pas, trop affairé à écouter les dires de la sorcière, comme hypnotisé. Fort heureusement pour ma personne, le hurlement d'une femme me remit les idées en place. Secouant vivement la tête, j'échangeai un regard anxieux avec mon bras droit. Soudain, j'agrippai son bras, mes pupilles scrutant partout autour de moi ; il fallait agir, à l'instant, directement, sans même attendre le temps de songer correctement à un quelconque plan - surtout, que ses sœurs, comme l'avait-elle si bien, n'arrivent. Il fallait l'imiter ; être sauvage et imprévisible. « Il ne faut pas l'écouter ! » m'écriai-je sous les yeux stupéfaits de lord Lobrok et de l'ensemble de mes hommes, encore perturbés par la présence chimérique de la demoiselle des eaux. « Il faut éteindre toutes les torches. » Brynjolf me dévisagea, sous l'incompréhension totale, balbutiant un instant avant de finalement lâcher un « Baldwin !» réprobateur qui me crispa la mâchoire. « Désirez-vous réellement l'énerver ? » Rétorquai-je alors, d'une voix tendue et emplie d'une certaine provocation.  « J'ignore la raison de sa présence ici mais plus nous préserverons sa sérénité et moins nous pâtirons de ses humeurs. » Mon plus proche conseiller sembla hésiter un instant, lisant en mon regard azur une détermination sans faille qui lui murmurait de m'écouter. Le chevalier opina lentement du chef avant d'adresser un regard aux hommes présents pour finalement déposer ses pupilles sur la sorcière rouge. « Notre laird a raison. Après tout, si nous le faisons pas, je doute que ces torches ne fassent long feu face aux ravages que pourraient causer cette créature maritime.» Soulagé, je le remerciai d'un signe de tête avant d'ordonner au peuple de reculer le plus rapidement possible tandis que les hommes s'affairaient à éteindre les mêmes flammes qu'ils avaient peu avant allumées. Je n'avais nullement connaissance de ce qui me poussait à faire cela mais à l'instant mon seul désir était d'apaiser la bête ; sans doute était-ce un de ses nombreux charmes qui m'y poussait, sans que j'en sois réellement conscient.

Les cheveux balayés par le vent se levant à nouveau, j'observais de mes pupilles céruléennes le spectacle s'offrant à moi. Tenir mes engagements. Encore fallait-il savoir quels étaient-ils réellement. Défendre une sorcière rouge se jetant dans la gueule du loup ne me semblait guère compris dans ce qu'Irvette désigna être mes engagements. Certes, je voulais bien la défendre mais seulement si cela me semblait utile ; à peine remarquai-je qu'elle s'approchait de la créature que je dus réprimer l'envie de lui hurler dessus ; stupide femme ! Il me paraissait absolument logique que cette reine des mers ne soit guère impressionner par un cailloux brillant, prenant certes ici une grande valeur. Mais je me fis curieux, observant la dame et écoutant son étrange discours en fronçant les sourcils. Cherchait-elle à apaiser la Doideag ou à l'agacer davantage ? La réponse qu'elle offrit à l'humaine me fit grincer des dents ; par tous les dieux, elle semblait en rage, cela n'annonçait rien de bon, bien au contraire. Mirant prudemment ce visage se tournant à nouveau vers ma personne, je l'observai disparaître parmi les flots agités avant de soupirer en secouant doucement la tête, après avoir pu détailler cette barque flottant misérablement sur la mer. Ces hommes étaient tombés sous les charmes immenses de la créature, pire que mon propre être se retrouvant pourtant fortement influencé par ces derniers. La haine que je dédiais à la Erskine additionné aux enchantements de la fille des eaux avait balayé toute envie en mon être de venir en aide à la sorcière rouge ; ses plans ne me sembleraient désormais que déraison et folie, je serai donc incapable de l'écouter. Je savais, pourtant, que ces hommes désormais condamnés à mort n'étaient pas là de la faute d'Irvette, mais les idées noires que je ruminais intérieurement dirigeaient une certaine culpabilité vers la demoiselle. En revanche, en observant cette immense vague venant moi-même m'arracher de la stabilité de mes jambes, me retrouvant alors étale sur la plage, je me pris à maudire une fois de plus Irvette Erskine, questionnant les dieux sur la raison de sa présence ici.

Secouant la crinière platine que j'avais héritée de mes aïeuls, je me relevai avant d'aider mon bras droit à en faire de même. Dans un même geste, nous dévisagions Irvette qui, fièrement, se dressait désormais devant nous. « Bien sûr ! Maintenant que vous l'avez énervée, laissez moi donc me jeter dans la gueule du loup, c'est un plan exquis pour m'éliminer. Est-ce donc cela que vous cherchez ? » Rétorquai-je à ses paroles, réellement énervé. A vrai dire, j'étais également anxieux. Dans ces hommes désespérés se trouvant dans la barque, j'avis distingué quelques visages familiers et leur perte me serait pénible, quand bien même que savoir quelques pauvres gens éliminés me rongeait déjà de regrets. Les paroles qu'elle ajouta eurent le don de m'exaspérer davantage, crispant férocement ma mâchoire. « Et c'est vous qui me dîtes cela ! » m'exclamai-je avant de pousser un râle que je ne pus retenir ; cette femme me donnait juste l'impression d'avoir remué le couteau dans la plaie pour le simple plaisir de me voir me démener avec la Doideag. Ceci dit, elle avait au moins raison pour une chose ; de nous, la créature des mers semblait de loin me préférer.

Après avoir dû rassurer certains de mes hommes et tout spécialement Brynjolf qui pestait tant contre Irvette, que sur la Doideag et moi-même, je me dirigeai d'un pas déterminé mais prudent vers la sorcière des eaux. Je laissai cependant une distance respectable entre la mer et ma personne, conscient pourtant que, si les créatures le désiraient réellement, elles finiraient tout de même par m'avoir. Car, en effet, elles étaient désormais au nombre de six, toutes aussi magnifiques que celle semblant être leur aînée. D'une voix forte afin qu'elles puissent m'entendre mais d'un ton serein, je pris la parole, dressé contre vents et marrées, simple homme que j'étais. « Pardonnez la bêtise de cette femme, elle n'est... qu'une sorcière rouge. » commençai-je, réfléchissant profondément à chacun de mes mots. Je mettais ma vie en jeux, celles de mes hommes sur la plage, celles de ces êtres dans la barque. « Quant à moi, je n'ai aucune prétention, je sais que je ne suis qu'un homme et devant votre puissance et vos charmes, je me sais impuissant. » Le pire, peut-être, même certainement, était que mon discours transpirait la vérité. Certes, j'aurais pu élancer une horde de guerriers à la mort, des torches mouillées à la main et des filets déchirés dans les bras. Autant éviter pareil massacre. « J'ignore les raisons qui vous ont amenées à vous échouer sur cette plage mais sachez, souveraine des mers, que mon seul désir est de vous apaiser. Vos traits sont bien plus agréables à observer quand un sourire illumine votre visage doré. » Jetant un coup d’œil à la barque, je redirigeai mon regard vers la femme écailleuse afin de continuer. « Leur vie vous intéressent-elles réellement ? Je n'ignore pas que ma position ne m'est pas favorable pour ce qui est des négociations mais si ces hommes sont épargnés, je tâcherai de laisser libre court à votre soif de sang. L'heure de ces hommes-ci n'a pas encore sonnée, contrairement à d'autres. » S'il fallait que des hommes meurent aujourd'hui - c'était une chose dont j'étais de plus en plus persuadé -, ce ne serait point ceux-là. J'avais dans l'idée de vider les cachots du laird Campbell si cela pouvait nous être utile ; après tout, les bougres pourrissant en ces lieux finiraient bien par pendre au bout du'une corde ou à être écourtés de leur tête ou terminer leur vie dans un tout autre supplice, bien plus infâme. « Je vous suis dévoué, puissance de la nature. » Ecartant les bras, paumes tournées vers le ciel et baissant le regard en signe de soumission, j'étais actuellement entrain de me vendre à la Doideag. Je redressai tout de même peu après mes pupilles cerclées de bleu vers la mer, laissant mes mèches de cheveux humides virevolter parmi les bourrasques éoliennes. Une éclatante fatalité me vint alors à l'esprit, naturellement ; s'il fallait que je me sacrifie aujourd'hui, je le ferai. Peut-être était-ce étonnant mais cette idée ne m'effraya en rien ; si telle était la destinée que les dieux m'avaient confiée, eh bien, elle serait mienne.

Dressé face aux flots, cheveux aux vents, m'adressant à la mer elle-même, j'attendais. Ma peau frémissait sous la caresse éolienne, gelée qu'elle était par l'eau salée qui nous avait peu avant balayés sur la plage. Tandis que j'observais la danse régulière des vagues redevenues fougueuses, mes bras se baissèrent lentement et mon dos se redressa. Peu importe ce qui arriverait ; j'accueillerai l'évènement comme il se devait, de front, sans jamais penser à ciller. Mais alors que je m'attendais aux pires choses auxquelles une sorcière des mers et ses sœurs pouvaient avoir recourt, voilà qu'une de ses dernières fit irruption à la surface. Je me perdis un instant dans sa contemplation avant que sa voix ne résonne, claire, douce, agréable. Je fus étonné de ses paroles, de son allure fragile, de son manque d'agressivité. Elle contrastait tellement avec la première des Doideag dont nous avions fait la connaissance.  « Je me nomme Baldwin. » lui avais-je simplement répondu, la mirant d'un regard curieux et intéressé, bien que restant méfiant. Les traits de la créature étaient alourdis par une telle tristesse que je ressentis un malaise infini me ronger les entrailles. Qu'avions-nous donc fait à cette demoiselle écailleuse pour que son visage se déforme d'une telle manière, sous l'emprise d'un désespoir qui me perturbait profondément ? La laissant s'approcher, je posai les yeux sur l'offrande qu'elle me tendait, ne saisissant que trop mal ce qu'elle désirait. Agrippant l'énorme coquillage à deux mains, je l'approchai lentement de ma poitrine, comprenant soudain que sa valeur était inestimable pour cette habitante maritime, continuant de l'écouter avec toute l'attention du monde.

Puis, vint ce cris déchirant et, observant le spectacle effroyable qui se déroulait non loin de nous, je sentis une rage sans nom se propager en mon être. Quels monstres. Les Doideags n'avaient rien de terribles, en vérité ; l'infamie émanait de nos propres êtres, nous, humains que nous étions. Je m'apprêtais à me ruer sur la plage, prêt à aider cette pauvre créature blessée avant de saisir la gravité de la situation, me faisant soudainement bousculer par un horde d'hommes s'affairant à capturer Mira. J'entendis le cris d'Irvette, la sorcière rouge dont, soudain, je me pris d'affection ; elle pouvait nous aider. Elle le faisait déjà. Laissant la femme se démener avec son propre problème, je me jetai sur les mailles du filet que mes semblables avaient jeté sur l'étrange demoiselle. « ARRETEZ ! » avais-je rugi, de toutes mes forces. Mon simple cris avait suffit à les faire stopper mais pas assez longtemps pour que je réagisse réellement. Dégainant férocement mon épée, je vins la loger au creux de la gorge d'un des assaillants de la fille des eaux, ce qui eut le don de stopper l'entièreté du groupe d'hommes qui me fixa d'une façon ahurie. « Vous n'aurez pas sa vie sans la mienne. » crachai-je ensuite en pouvant observer l'esprit de mes compagnons s'échauffer. Mes propres hommes hésitèrent un instant avant de se reculer ; peu importait ce qui me trottait dans l'esprit, une fois que j'avais décidé quelque chose, ils savaient que je ne reculais qu'à de très rares occasions. Mais je dus me montrer plus insistants envers les autres, ceux qui ne me devaient pour aucune raison particulière l'obéissance. Ce fut donc à coups d'épée que je dus régler l'affaire ; montrant presque les dents je défendais leur captive avec une ferveur incroyable. Quand enfin, tous se décidèrent à abandonner leur quête, je repris mon souffle saccadé, leur lançant un regard aussi noir que les plus profondes abîmes.  « Elle était venu PARLER ! SIMPLEMENT ! » Je ne pouvais m'empêcher de hurler, hors de moi. Lançant un regard à mon bras droit qui restait effaré sur la plage, je lui criai ces mots  « Allez aux côtes de Irvette, apportez-lui l'aide qu'elle acceptera ! » Brynjolf me mira un long moment avant de s'éloigner, rapidement, songeur. J'avais une bonne raison de faire cela. Et il n'avait pas besoin de plus pour s'exécuter. Les assaillants de la Doideag n'osèrent plus s'approcher de ma personne, quelques uns observant outrés une coupure que ma lame leur avait causé, me jetant quelques regards accusateurs. Je n'en avais cure. Utilisant la même arme qui avait fendu leur peau afin de libérer la demoiselle écailleuse, je lui parlais calmement malgré mon énervement faisant trembler mes lèvres. « Pardonnez-nous, je vous en supplie, je... je ne voulais pas. Je ne veux pas. Vous ne méritez pas cela. » Mes pupilles cerclées de bleu scrutaient son visage, emplies d'une tristesse et d'une inquiétude sans fin. Je me saisis alors de l'offrande qu'elle m'avait précédemment faîte, celle que j'avais délicatement déposée avant de la défendre corps et âme. A genoux à ses côtés, les vagues venant caresser mes membres, je plongeai un long moment mon regard dans le blanc du coquillage. « Je protégerai la mer comme je t'ai protégée aujourd'hui. Dis-moi, Mira, ce qu'il y a à faire, je le ferai. Jamais je ne trahirai cette parole. » J'étais plus sincère que je ne l'avais jamais été ; mes paroles étaient emplie de toute la vérité du monde. Je priais les dieux pour qu'elles le comprennent. Peu importait ce que cela m'en couterait, je les aiderai, je m'en fis la promesse.